Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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Brésil : L’« IMPEACHMENT » ?

«»16/04/2016

 

Un coup d’état parlementaire, un suicide institutionnel

 Source : http://blogdosakamoto.blogosfera.uol.com.br/

 

 

 

619.jpgLa présidente Dilma Roussef, réélue en 2014, pourrait être obligée de mettre fin à son mandat le 17 avril, si les deux tiers des députés votent sa destitution. Depuis plusieurs mois, une violente crise politique secoue le Brésil : d’un côté, la droite réactionnaire, dont de nombreux élus sont impliqués dans des scandales de corruption, veut en finir avec treize ans de gouvernement du Parti des travailleurs. De l’autre, sans forcément soutenir l’action du gouvernement, de nombreux Brésiliens dénoncent une forme de coup d’état. Les partisans de sa destitution doivent réunir les deux-tiers des voix (342 sur 513 députés) au Congrès national. Le résultat du vote sera connu dimanche 17 ou lundi 18 avril. 329 députés ont déjà annoncé publiquement qu’ils voteront la destitution, l’impeachment. Ce vote suit la décision d’une commission parlementaire spéciale de soixante-cinq députés qui a jugé légitime la demande de destitution de la présidente.

Selon la presse brésilienne, sur les 38 députés qui se sont prononcés en faveur du processus de destitution, trente-cinq font l’objet d’investigations pour crime et corruption ! Parmi eux quatre sont impliqués dans l’affaire Lava-jato (« lavage express » d’argent), le scandale de corruption lié à l’entreprise pétrolière pétrolière, Petrobas, et les plus importantes entreprises de BTP du pays. Un énorme système de blanchiment qui permettait aux candidats et partis politiques de financer leurs campagnes électorales.

Paradoxe et bordel ambiant621.jpg


Si Dilma Roussef est destituée, elle sera remplacée par son vice-président, Michel Temer, membre du parti de centre-droit PMDB. Depuis quelques semaines, il a rejoint l’opposition favorable à la destitution. Rien assure qu’il restera au pouvoir, car il est lui-même visé par une procédure de destitution. Dans ce cas, la Constitution prévoit que c’est le président de la Chambre des députés qui assurerait la présidence. Il se nomme Eduardo Cunha et sera aussi jugé par la Cour suprême dans le cadre du scandale de blanchiment Lava-jato pour avoir reçu au moins cinq millions de dollars de pots-de-vin. Il est mis en examen pour corruption passive et blanchiment d’argent. En plus d’être cité dans la liste des Panama Papers, en tant que propriétaire d’une société off-shore suspectée d’évasion fiscale.

 

Le paradoxe se situe ici : Dilma Roussef n’est, elle, impliquée dans aucun scandale de corruption. Ceux qui veulent sa destitution l’accusent d’avoir masqué l’ampleur du déficit public de 2014, utilisant un tour de passe-passe comptable, les pedaladas fiscais. Une pratique pourtant courante pour les anciens présidents et les gouverneurs des États, qui n’a jamais mené à leur destitution, nous explique Leonardo Sakamoto. Journaliste, fin connaisseur de la vie démocratique brésilienne, Leonardo Sakamoto a créé Repórter Brasil, une association de lutte contre les formes modernes de travail esclave et qui défend les droits des travailleurs ruraux. Son blog est suivi par des dizaines de milliers de Brésiliens. Depuis les élections présidentielles d’octobre 2014, les menaces de morts et les campagnes de diffamation se sont multipliées à son encontre. La semaine dernière, le quotidien brésilien Folha de Sao Paulo a révélé qu’une des campagnes de diffamation sur internet était financée par JBS, le géant brésilien de l’industrie des abattoirs et conditionnement de viande.

Les manifestations contre la procédure de destitution se multiplient depuis quelques jours. Sans forcément soutenir le gouvernement de Dilma Roussef, de plus en plus de Brésiliens associent cette destitution à un coup d’État institutionnel, extrêmement dangereux pour l’avenir de la démocratie brésilienne.

620.jpgD'après le journaliste Leonardo Sakamoto, si l'on se réfère aux enquêtes sur la manifestation de São Paulo qui a réuni un demi million de personnes le 13 mars, ce sont en majorité des hommes blancs, membre de la classe moyenne élevée, avec des revenus importants, qui ont manifesté. Ils demandent la destitution de la Présidente du Brésil – l’impeachment – à cause de la corruption. Ils revendiquent aussi un État moins présent, veulent payer moins d’impôts. Une partie des classes populaires, qui n’ont pas manifesté le 13 mars, veulent aussi la démission du gouvernement, mais pour des raisons contraires : ils souhaitent un État plus présent, désirent une amélioration de leur qualité de vie.

Au Brésil comme ailleurs, ces sont les classes populaires qui ont davantage besoin de l’État pour avoir accès aux soins ou à l’éducation. Les jeunes, qui ont été au cœur du mouvement social de 2013 contre l’augmentation des prix des transports, ne sont pour l’instant pas présents dans les rues, ni contre Dilma, ni en soutien. Ils ne se sentent pas représentés par les deux groupes des institutions démocratiques et estiment que ceux qui demandent la destitution seront pires que le gouvernement actuel.

« Jusqu’à présent, il n’existe aucune preuve que la présidente a commis un délit. Ceux qui veulent la destituer accusent son gouvernement d’avoir contracté des dettes auprès des banques publiques pour masquer un déficit. Il n’existe aucune accusation de corruption. Elle n’est pas impliquée dans le scandale du géant pétrolier brésilien, Petrobras, appelé lava-jato. Je trouve son gouvernement assez mauvais. Cependant, je préfère avoir un gouvernement médiocre et ne pas détériorer nos institutions en destituant la présidente. Contracter des dettes, tous les gouverneurs d’État le font (le Brésil est un État fédéral). Tous les anciens présidents l’ont fait.

« Si nous destituons la présidente pour cela, nous devrons destituer tous les gouverneurs. Nous sommes en démocratie, si le gouvernement n’est pas bon, au peuple de ne pas le réélire. La procédure d’impeachment va accélérer son départ, hors du processus démocratique. Cela pose un vrai problème. D’autant que c’est l’ancien parti de sa coalition – le PMDB (Parti du mouvement démocratique brésilien, centre droit) – et le parti d’opposition PSDB (droite) qui prendront le pouvoir. En la destituant, nous jetons à la poubelle nos institutions et ont abîme la jeune démocratie brésilienne. Qui sait ce que cela provoquera dans le futur ? »

 

Ce retournement de situation demande sans doute de nouvelles politiques et, donc, de nouvelles têtes, une alternance en un mot, mais la présidente brésilienne n’a pas tort de qualifier de « coup d’Etat » la procédure de destitution qui la vise car, si profond qu’il soit, un marasme économique ne justifie pas l’interruption forcée d’un mandat présidentiel.

Cette procédure n’a, certes, rien d’illégal puisque la Constitution la prévoit mais elle ne la prévoit qu’en cas de crime commis par le chef de l’État dans l’exercice de ses fonctions et non pas de gestion contestable ou contestée.

Si l’on en est là, c’est que des élections locales approchent et que tous les partis veulent épouser la colère populaire pour les remporter et, surtout, arriver au pouvoir en en chassant la présidente.

Cette façon de tordre la Constitution est totalement irresponsable car, au lieu de bâtir une alternative crédible, les partis se partagent déjà les postes pour arriver à cette majorité parlementaire des deux tiers qui permettrait de destituer Dilma Rousseff tandis que le parti de la présidente ne fait rien d’autre en promettant portefeuilles et hautes fonctions aux élus qui voteraient en sa faveur.

La politique brésilienne tombe plus bas que terre et entraîne tout le pays vers l’abîme, comme pour mieux justifier la phrase de Clemenceau disant que « le Brésil est un pays d’avenir... qui le restera longtemps ».

  

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16/04/2016
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