Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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QUELLE POLITIQUE DE SANTÉ POUR LA GUYANE ?

04/05/2012

Guyane, la santé en friche

par Dorothée Thiénot, 29 septembre 2011

 

La guyane réunit deux caractéristiques a priori antagonistes : d'un côté la prévalence de certaines maladies est largement supérieure à celle de l'hexagone (parfois le double), de l'autre elle possède une infrastructure hospitalière que l'on pourrait qualifier de désolante, liée à un sous-équipement chronique et menacé. Tout cela, au vu des difficultés de liaisons, laisse se déliter l'accès aux soins des populations de l'intérieur : deux ophtalmos libéraux, à Cayenne pour tout le territoire, une AME de plus en plus compliquée et longue à obtenir, 3 mois au minimum d'attente pour un rendez-vous chez un dentiste, tous installés dans les villes de la bande littorale (un dentiste pour plus de 10 000 habitants à Saint-Laurent du Maroni, sous-préfecture de la Guyane)...

 

Vous lirez ci-dessous un article de Dorothée Phiénot, publié sur Regards.fr. Il est certes un peu long mais présente l'avantage de déployer l'éventail de la problématique de santé Guyanaise. En dessert vous pourrez déguster quelques chiffres -sucrés- relatifs à la prévalence du diabète en Guyane.

 

En France, un département sur deux est confronté à une baisse de ses effectifs médicaux en 2011. Désertification médicale, manque de spécialistes et de services à la personne, complication des démarches pour obtenir l'Aide médicale de l'État (AME) : l'accès aux soins souffre d'une disparité toujours croissante entre zones urbaines et zones rurales. Reportage en Guyane, qui cumule les difficultés.

 

018.jpg« La Guyane n'est ni la Creuse, ni la Lozère », a martelé Xavier Bertrand, ministre du Travail, de l'Emploi et de la Santé, lors d'une visite express en juillet (2011, note du Témoin). Référence délicate, comme toujours, à ces départements privés de personnel soignant. Qu'on ne parle surtout pas de désert médical au ministre, donc. Sauf, alors, pour les zones sus-mentionnées ? Mais la Guyane fait bel et bien face à une pénurie de médecins. Tout comme l'Allier, les Ardennes, la Haute-Marne, le Pas-de-Calais, la Corrèze. 163 généralistes exercent sur le département, presque exclusivement concentrés sur la zone urbaine Kourou-Cayenne. Comme partout en France, les médecins se concentrent dans les zones urbaines. Impossible, dans les conditions actuelles, de répondre pleinement à la demande de soins.

Par ailleurs, le manque de spécialistes et de plateaux techniques est criant : compter deux mois d'attente pour une IRM. Pas de soins intensifs cardio ou neurovasculaire. Le service réanimation de l'hôpital de Cayenne ne fonctionne qu'avec un seul praticien qualifié, apte à exercer au regard du droit français : le docteur Hommel est d'astreinte 24 heures sur 24. Et à terme, un service de cancérologie aurait sa place... Sur un territoire grand comme le Portugal, on dénombre deux ophtalmos libéraux. Tous deux à Cayenne.« Ici, certes, les besoins sont tels qu'on ne craint pas de fermer un hôpital. Mais en parallèle, on ne crée pas les conditions d'amélioration du fonctionnement du système de santé », constate Dominique Louvel, médecin et conseiller santé de la députée Christiane Taubira. « Trouvez-moi un seul hôpital en France qui ne fonctionne qu'avec un seul réa ! »A l'Ouest, Maripasoula, 8 000 habitants, est située à la limite de la « zone interdite », où la circulation des personnes est censée être contrôlée et autorisée par la Préfecture. « Maripa » est une zone-carrefour, qui fait face au Suriname, et où se côtoie une jeunesse très nombreuse, tant du côté Bushinengé [1] que Wayana [2], où passent des orpailleurs brésiliens en repos, où s'échouent de vieux blancs perdus au fond de leur verre. Les patients du centre de santé de cette ville, Centre délocalisé de prévention et de soins (CDPS), sont le reflet de cette population, variée, jeune et en forte croissance. Ces centres dépendent de l'hôpital de Cayenne et bénéficient de fonds spécifiques de l'Agence régionale de santé (ARS). Ici, c'est de la bobologie ou du soin d'urgence. Selon le jour et la pathologie, comptez environ trois heures d'attente. Si les deux ou trois médecins y sont disposés ou ne passent pas leur temps à tenter de bidouiller les ordinateurs qui plantent. On les observe faire défiler leurs patients d'un air blasé. Un peu Tintin au Congo sur les bords, ils tutoient les patients. On est ici dans le dispensaire de santé, dans son acceptation la plus désuète. L'ennui est palpable. Les salaires des médecins, 8 000 € mensuels, ne suffisent pas à les convaincre de rester. « Trop enclavé », explique Denis, venu ici pour trois mois. Que l'on soit médecin, gendarme mobile ou militaire, Maripa est une ville où l'on ne reste pas.

 
Lutter contre le turnover

Un tiers des médecins de la Guyane ont plus de 60 ans. Comme partout en France, la profession continue de vieillir, sans se renouveler de manière durable dans les zones qui auraient besoin de docteurs. L'ordonnance de 2005, créée par Douste-Blazy, autorise, face à la pénurie de personnel hospitalier, le recrutement de médecins à diplômes étrangers, après avis du Conseil de l'Ordre. Ces praticiens constituent un tiers des médecins en exercice en Guyane. « L'apport quantitatif est important, mais cela n'incite pas les hôpitaux à repenser leur politique de ressources humaines dans la pérennité », souligne Olivier Kleitz, directeur adjoint de l'ARS. Des aides à l'installation, prime de 20 % sur les consultations pour les libéraux et abattement fiscal de 40 % comme dans tous les DOM, tentent de contrer la carence en personnel médical, qui concerne l'ensemble des professionnels de santé, infirmiers mis à part. Toutes ces mesures ne parviennent pas à lutter contre le turnover. Ce dernier exaspère les patients de Maripa qui aspirent à un peu de suivi dans leurs dossiers. « Les médecins prescrivent et diagnostiquent sans ausculter », déplorent des infirmiers. Des « aides à la prise de médicaments » et des prises de tension, théoriquement non facturables, sont prescrites, puis grassement facturées par l'infirmier libéral, qui se délecte de tous ces diabétiques, pour certains pas même insulinodépendants, qu'il va voir, ou non, d'ailleurs, semaines et week-ends. « On lui met un peu de beurre dans les épinards », justifie le docteur Adoum Tordina. Voilà comment les infirmiers libéraux tiennent le haut du pavé, en termes de fraude à la Sécu : 13 millions d'euros pour leur pomme, en 2010. Pour créer de l'attractivité, on parle de créer des zones franches, mais « c'est une logique de moyen terme, ça ne pourra se régler comme ça » , dit Kleitz. L'axe d'avenir, du point de vue de l'ARS : une meilleure organisation des soins. Créer des réseaux de prise en charge cohérents.« Casser l'image de la Guyane, et mutualiser davantage ». La santé est ici tributaire des infrastructures. La seule route réellement praticable relie, en gros, les villes du littoral, de Saint-Georges à Saint-Laurent, où se concentre l'essentiel de la population et des deniers publics. A Maripa, comme partout « dans l'intérieur », on évacue les malades par hélicoptère jusque Cayenne. Puis jusqu'aux Antilles, « où les hôpitaux sont aussi saturés ou manquent de spécialités », rappelle Louvel. Ou encore, jusqu'en métropole. Pour Olivier Kleitz, « les responsabilités sont partagées, mais nous sommes clairement plantés par le manque d?infrastructures. » Il prône une vision transversale des dossiers : « La santé ne s'en sortira pas toute seule. » L?accès aux soins relève de problèmes moins géographiques que sociaux ou politiques. Valérie Morel, chercheuse à l'IRD, le confirme : « Accéder aux soins, c'est aussi avoir une ligne de bus qui passe dans les quartiers. » Soit une politique de santé intégrée à une politique de la ville efficace, comprenant construction de logements salubres (il manque 78 000 logements en Guyane), accès et connaissance des infrastructures, voire, simplement, de l'eau potable. Pour Valérie Morel, « il faut arrêter de dire que la dengue, le palu sont des donnes naturelles ». A Matinhas, un quartier de Cayenne, pourquoi des camions poubelle passeraient-ils dans une zone qui, légalement, n'existe pas ? Les eaux croupies qui annoncent l'arrivée dans le quartier, à deux pas du centre historique ? « Une épidémie de dengue assurée. » D?où la nécessité d'une réelle adéquation entre le traitement médical et les conditions de vie. Cela impliquerait que les médecins aient une connaissance approfondie des conditions de vie, très diverses, de leurs patients, ce qui exige une certaine proximité. Concernant la population clandestine, il faut pouvoir être en mesure de la trouver. En ville, c'est encore possible avec le Centre d'accueil de soins et d'orientation (CASO), par exemple. Et encore, les clandestins, par définition, évitent les déplacements. Amandine Marchand, coordinatrice du CASO Médecins du monde, en fait l'expérience : « Depuis le tremblement de terre, les Haïtiens ne font plus l'objet d'expulsions. Ils sont devenus la première nationalité à venir nous voir. » Dans les terres, il y a tous ces clandestins, difficiles à atteindre, et qui n'arrivent qu'à un stade avancé de leur maladie après avoir consommé les médicaments contrefaits en vente, juste en face : il suffit de traverser le fleuve Maroni. Combien préfèrent les antipaludéens vendus chez « les Chinois », qui ont construit leurs gargotes en bord de fleuve, côté Suriname, à ceux vendus par le pharmacien en noeud papillon, 72 € pour douze jours de traitement ? Pour ceux qui arrivent « de la forêt » (comprendre« d'un site d'orpaillage ») pour se faire soigner, le palu est déjà à un stade avancé. Pour ces urgences, les évacuations sanitaires, en hélicoptère, sont fréquentes et efficaces, pourvu qu?elles arrivent avant 18 heures. Et qu'on n'ait pas besoin de sang, ni de trop d'oxygène. Évidemment, d'aucuns pestent contre ces étrangers dont on sauve la vie gratos. Ici, les soins sont gratuits et l'on ne demande aucun justificatif aux patients. Une aide à l'accès aux droits pourrait être justifiée. Mais, la télémédecine ? la pratique médicale à distance utilisant les technologies de l'information et de la communication, que chacun décrit comme le salut des petits hôpitaux, ne concerne pas ce volet. L'information sur l'accès aux droits est donc assurée par les infirmières qui tentent, tant bien que mal, de s'expliquer auprès de non-francophones.

 
Depuis la réforme, 3 à 6 mois d'attente supplémentaires

Et puis, il y a cette Aide médicale d'Etat (AME) à qui l'on veut faire la peau. 11 % de ses bénéficiaires sont en Guyane, sur 227 705 bénéficiaires dans l'ensemble du pays. La Guyane compterait 10 % de clandestins. Ce mois de septembre (2011), une délégation du ministère de la Santé vient juger sur place les effets de sa réforme, mise en place en mars dernier. « L'État se met dans une position schizophrène, en poursuivant les illégaux tout en vendant des timbres fiscaux qui valident et authentifient leur présence. Et avec plus de 1000 kilomètres de frontières, on ne va pas mettre un policier derrière chaque palmier ! », constate le directeur de la Caisse générale de Sécurité sociale (CGSS) de Guyane, Philippe Dumont-Dayot, tout en rappelant que la CGSS n'est « ni la justice, ni la police. »

Pour les usagers, la réforme se traduit par des demandes nouvelles : photo d'identité obligatoire (tu crois qu'il y a des photomatons dans les villages amérindiens ?), droit d'entrée de 30 €, domiciliation et, pour la gestion de cette nouvelle donne, 3 à 6 mois d'attente supplémentaires. Face, de surcroît, à un empilage de mesures spécifiques, Dumont-Dayot prône « un système simple, lisible, opérationnel. Des droits qui s'appliqueraient à tous, de la même manière. » Le cumul des cotisations non rentrées s'élève à 320 millions d?euros. « Il y a sans doute des efforts de rationalisation à faire. Mais tout le monde criera alors au rationnement ! » Pour Chantal Berthelot, députée PS de Guyane,« la réponse passe par la prévention. On doit aller vers ça, parce que, à terme, il faudra être riche pour se soigner. Quoiqu'il se passe en 2012. On est dans un tel contexte de crise qu'il va falloir gratter, partout. Mais prévenir : ça, oui, on peut. On a préféré soigner que prévenir : il va falloir bouger les lignes. » Ces efforts sont-ils à voir du côté des prescripteurs ? Les praticiens libéraux ne peuvent le nier.

Par ailleurs, dit Dumont-Dayot, « la Guyane n'échappe pas à une médicalisation des problèmes sociaux ». Le directeur de la CGSS dit ne parvenir à parler de son métier qu'avec ses collègues de Marseille et de Bobigny, qui doivent aussi assumer une population en forte croissance démographique, souvent précaire, mal informée.

Dans un département où le chômage culmine à 21 %, où les perspectives des jeunes sont presque inexistantes, où la peur de « l'étranger »l'emporte à mesure que la crise continue de faire ses ravages, on se souvient que lon est ici en France, le premier consommateur au monde de neuroleptiques.

 

Notes

[1] Bushinengés (businenge) : descendants des esclaves africains

[2] Wayana : tribu amérindienne du Haut-Maroni

 

Quelques notes sur le diabète en Guyane, d'après

http://www.martinique.sante.gouv.fr/documents/accueil/statistiques/infosante-n12.pdf

Regardons une pathologie dont l'influence globale est relativement faible mais qui se distingue particulièrement dans les départements d?Antilles-guyane. On a pu observer que, quel que soit le sexe et le département, les taux de décès dus aux maladies endocriniennes sont parfois le double de ceux de la métropole.

Cela provient pour partie du diabète sucré, pour partie de l'alcoolisme, représentant environ 25% en APVP (années potentielles de vie perdue).

 

Surmortalité due au diabète sucré en Guyane et en hexagone, 1998 :

 Hommes : Guyane 21,5 - Hexagone 13,4

Femmes :   Guyane 33,7 - Hexagone 16,9

Taux pour 100.000 habitants (base métropole 1998)

Source: Données INSERM

La surmortalité par diabète sucré est bien plus marquée pour le sexe féminin que pour le sexe masculin entraînant, pour nos départements, un écart important entre les deux sexes. Ceci est à mettre en relation avec la surmortalité liée à l'hypertension, [qui ne pourra manquer d'être] évoquée [si l'on souligne] le poids des maladies vasculaires cérébrales.

 

diabete.JPGLe réseau Diabète de Guyane

 Le traitement du diabète constitue un coût croissant en Guyane, coût financier pour l'Assurance Maladie aussi bien qu'un coût important en termes de santé publique du fait des importantes complications qu'il induit. Dans une étude réalisée en septembre 2008, la CGSS estime le taux de prévalence standardisé du diabète à 5,6% de la population guyanaise (3,7% environ pour la métropole). La CGSS souligne par ailleurs que ce taux est sous-estimé en raison des patients diabétiques diagnostiqués mais non traités et ceux non dépistés. Au-delà des chiffres, des difficultés propres à la Guyane rendent ce constat plus aigu encore, notamment l'accès aux soins pour certaines zones isolées, la prédisposition accrue des populations amérindiennes, des freins culturels liés à l'acceptation de la maladie, les habitudes alimentaires.

Assemblée Générale du Réseau

le mardi 22 février 2011

 

http://mdr-guyane.fr/reseau-diabete/presentation/



04/05/2012
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