Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

LES HÉRITAGES DU MARRONNAGE : UN PATRIMOINE

 11/06/2016

 

À l'occasion de la commémoration

de la seconde abolition de l'esclavage

 

Montauban, 10 juin 2016

 

Marronnage1.jpgDès les tout-premiers temps de la Traite un refus viscéral de la soumission a explosé partout ou sévissait l'esclavage. On parle ici et là de petit et de grand Marronnage, de sabotages, de révoltes et de fuites éperdues dans la forêt. Ce sont les paroles des premiers temps, les récits du « Loweten » : histoires fertiles du Marronnage, sources de mille savoir-faire propres à ces temps anciens.

 

De nos jours, sur tout le bassin du Maroni, leurs descendants vivent en perpétuant les héritages dont ils sont les dépositaires. Qui sont ces Marrons ? D’où viennent-ils ? Quelles sont leurs croyances magico-religieuses ? Quelles sont leurs pratiques sociales et artistiques ?

 

Une conférence pour tenter d'appréhender ce que c'est qu'être Marron, aujourd'hui...


Marronnage2.jpgLe terme de « marron » vient de l’espagnol cimarrón lui-même emprunté aux Arawaks et qui désigne des animaux qui, de domestiques, retournent à l'état sauvage comme le cochon. À partir de 1540, ce terme désigne les esclaves fugitifs. Ce terme sera initialement appliqué aux Indiens fugitifs et finira par désigner peu à peu le sauvage, celui qui retourne vers l’état de nature.

 

Les Marrons se réfugiaient généralement dans des lieux inaccessibles. Ceux qui se sont réfugiés loin dans les forêts (et montagnes) ont su sauvegarder et transmettre leurs modes de vie africains et même, partiellement, leurs langues d'origine. Parfois, ils sont parvenus à se regrouper en de véritables communautés clandestines organisées dont les membres étaient alors appelés Nègres marrons. On peut citer à titre d'exemple les sociétés fondées par les Businenge de Guyane et du Suriname.

Les communautés qui ont perduré avec une identité marronne se trouvent :

- au Brésil,

- au Guyana,

- au Suriname,

- en Guyane,

- en Colombie,

- au Honduras,

- à la Jamaïque,

- au Mexique, à San Lorenzo de los Negros, dans l’état de Veracruz.

 

Elles habitent généralement sur les bords des fleuves qui constituent les seules voies de circulation en forêt profonde.

 

Les Businenge (hommes de la forêt), également appelés Marrons, Noirs Marrons ou encore Nègres Marrons, sont l'ensemble des peuples descendants d'esclaves emmenés au Suriname et en Guyane pour travailler dans les plantations. Les Businenge sont nés des grands mouvements de marronnage. Dès le XVII° siècle, ils prirent la fuite et négocièrent très tôt les conditions de leur liberté. Certains restèrent au Suriname mais d'autres vinrent en Guyane pour travailler en tant que piroguiers pour les orpailleurs, notamment les Saaamaka, réputés pour leur technique de conduite de pirogue, sans moteur à l'époque, sur les fleuves Oyapock et Approuague. D'autres, chassés par les autres Businenge, se réfugient également en Guyane, ce sont les Aluku (ou Boni), qui se trouvent essentiellement dans la région de Papaïchton-Maripasoula.

Vivant dans la forêt, les Businenge ont reconstitué une culture propre, issue de leurs diverses origines africaines. Ils se sont adaptés à la vie amazonienne en partie grâce aux Amérindiens avec qui ils ont eu des contacts rapprochés, en partie aussi de par la similitude entre la forêt amazonienne et les forêts d’Afrique équatoriale.

La plus grande partie des Businenge s’est installée très tôt le long du Maroni, fleuve frontière avec le Suriname. Beaucoup ont traversé le fleuve-frontière lors de la guerre civile qui secoua le Suriname dans les années 1980.

Marronnage3.jpg

On dénombre six sous-groupes de Businenge :

- les Boni ou Aluku, principalement installés sur la rive française du Moyen-Maroni ;

- les Djuka, originellement installés sur la rivière Tapanahoni, dont beaucoup gagnèrent la rive française du fleuve durant la guerre civile (1986-92) ;

- les Saamaka, nombreux en Guyane ;

- les Paamaka ;

- les Kwinti ;

- les Matawaï.

 

Ils parlent différentes langues en fonction des dates et des lieux de marronnage : les Aluku, Djuka et Paamaka parlent chacun des langues très proches, qui sont des créoles à base lexicale principalement anglaise. C’est également le cas pour la langue des Saamaka mais celle-ci a bénéficié plus tard d’apports importants depuis le Brésil et a été pour le coup partiellement relexifiée en portugais. C’est également le cas pour les Matawaï. Enfin, les esclaves qui ne se sont pas enfuis sont à l'origine de la création du sranantongo (le « créole du Suriname ») qui est une des langues officielles du Suriname.

Ils forment, de chaque côté du fleuve-frontière et tous groupes marrons confondus, avec 200 000 habitants, environ un quart de la population de chacun des deux pays, Guyane et Suriname. Ils vivent principalement de chasse, pêche et de culture sur abattis. Leur société est centrée autour de la famille – le lignage maternel – et du Gran Man, chef spirituel et religieux qui détient les pouvoirs de juge, sage, et conciliateur. Celui-ci fait également en théorie le lien avec les autorités légales républicaines, entre la population et l'administration.

Si l'abolition a mis fin à leur traque, diverses conditions ont généré une exploitation d'hommes sous-payés et menacés qui fait penser à une nouvelle forme d'esclavage. Le RSA apporte parfois un appoint non négligeable à ceux qui sont munis de papiers, mais comme les amérindiens, ils sont assez peu représentés par les élus départementaux et régionaux.

 

Marronnage4.jpgNous sommes soumis à des représentations bonnes à caresser la culpabilité et l'empathie de l'Homme blanc dans le sens du poil et à entretenir chez les populations libérées en 1848 un ressentiment historique qui empêche le vivre ensemble. Je vous propose ici de découvrir les Marrons à travers leurs croyances  magico-religieuses, qui semblent représenter une porte d'entrée pertinente pour la découverte de leurs comportements et pratiques sociales.

 

Un trait remarquable : l’africanité

Rappelons-le, les Marrons de Guyane française sont les descendants de ceux qui ont su résister au XVIIIè siècle à l'une des plus violentes formes du système des plantations, dans l'ancienne Guyane hollandaise aujourd'hui appelée Suriname.

Ils se sont même parfois installés sur des territoires gagnés aux dirigeants néerlandais de l’époque. Ce sont alors des populations qui, selon Richard Price (2012), montrent toutes une « frappante non-européanité ». En 1947, l’ethnologue Alfred Métraux écrit à Pierre Vergé : « C'est vraiment l'Afrique et, qui plus est, une Afrique du XVIIIème siècle ». Il écrira plus tard combien il a été surpris et enthousasmé de retrouver le Gabon et la Côte d’Ivoire. On s'aperçoit que de nombreux anthropologues et historiens ont constaté l’existence de ce lien entre l’Afrique et les sociétés marronnes, que le géographe Jean Hurault nommait d’ailleurs les « Africains de Guyane ». Nous allons voir combien ils sont restés fidèles dans leurs croyances et leurs rites au fonds africain dont ils ont tiré leur organisation sociale.

 

Un syncrétisme improbable

Rappelons que nombre de rébellions d'esclaves furent sur le continent américain organisées et conduites par des chefs soucieux entre autres d'opposer une résistance culturelle à une christianisation forcée perçue comme une caution morale de la traite et ayant pour effet de favoriser une assimilation progressive aux valeurs des colons. Lieu conscient de cohésion des esclaves autant que de mise à distance du monde des maîtres, les pratiques magico-religieuses héritées d'Afrique, constituèrent indéniablement une première forme de résistance culturelle contre l'esclavage.

 L'extrait du Code noir (1685) ci-après témoigne cet impératif de conversion des masses esclaves au christianisme : « Tous les esclaves […] seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achètent des nègres nouvellement arrivés d'en avertir dans la huitaine au plus tard, tous les gouverneurs et intendants des Îles sous peine d'amende arbitraire, lesquels donnent les ordres nécessaires pour les instruire et les baptiser dans le temps convenable ».

L’enjeu, pour les uns comme pour les autres, était fort.

Réprimées dans la pratique de leurs cultes africains, les populations noires durent, le plus souvent et par obligation, intégrer des parties du rituel catholique, entraînant par là même une perméabilité aux idées chrétiennes.

 

Ceci étant posé, nous devons poser la question de la définition : pour les Marrons, parlerons-nous d’une religion ou de croyances ?

L'on pourrait différencier les deux notions en observant que dans les sociétés occidentales, laïques ou non, les religions imposent une rupture afin de s'adonner à un culte qui impose des rites inscrits ou non dans le quotidien. Chez les Marrons Afro-américains il n'en est pas de même. La « religion » chez eux n'est pas religion en ce sens d'une part qu'ils n'acceptent pas ce terme, d'autre part qu'elle est étroitement imbriquée dans le quotidien, ce depuis les fosi ten, car née du refus et de la révolte forgés par le système esclavagiste néerlandais  et adaptés à celui-ci. Il en est résulté un modèle socio-culturel spécifique lié à leur univers profondément mystique.

Le Vaudou, le Candomblé, le Macumba… et bien d’autres sont des religions afro-américaines qui « nous parlent », à commencer par notre inconscient collectif.

Ce n'est en revanche pas le cas pour les Marrons de Guyane et du Suriname. Cette croyance syncrétique ne fait nullement référence à une quelconque croyance chrétienne. Elle se place dans une démarche de résistance où la séparation du culturel et du religieux est difficile à cerner.

la vie mystique des Marrons ne peut se détacher de la moindre démarche matérielle ni de chaque fragment de la vie sociale. Par-delà des gestes, des objets, des traces visibles, c'est un véritable mode de vie, une vision de l'existence qui s’appuie sur un espace spatio-temporel se trouvant aux antipodes des traditions occidentales.

 

Le lien entre les langues vernaculaires et les langues africaines n’est ni évident à discerner ni aisé à reconnaître.

Il semble qu’aucun nom de nation africaine n'est resté en mémoire des Marrons, contrairement aux autres afro-descendants haïtiens, cubains ou brésiliens. L'aspect lexical d'ailleurs, montre que leurs langues vernaculaires reposent essentiellement sur une base lexicale européenne, anglaise principalement, et un anglais « partiellement relexifié en portugais » (O. Renault-Lescure & L. Goury 2009) pour le saamakatongo. Toutes ces langues sont en fait des créoles qui ne comportent en réalité que 5 à 7% de traces lexicales de langues africaines.

Elles répondent à un processus de création relativement évident : l'impératif de dispersion des ethnies sur les plantations contraignait en effet à l'usage du vocabulaire courant de la langue du colon. C’est ce qui explique la pauvreté du vocabulaire africain dans les langues marronnes.

Dans le contexte pluri-langagier de la Guyane, où l'on parle une trentaine de langues pour un territoire grand comme le Portugal (B. Migge & O. Renault-Lescure 2012), ces langues vernaculaires marronnes, si elles ne possèdent que peu de traces lexicales africaines, sont néanmoins aujourd'hui devenues un moyen de reconnaissance identitaire. Si cela restait encore à démontrer, il faut noter l’existence d’une langue non maternelle mais véhiculaire, que nous nommerons mawinatongo, autrefois taki-taki, parlée et comprise par toutes les populations du bassin du Maroni, businenge, chinoises, hmong, amérindiennes… et ce sur les deux rives du fleuve, française et surinamaise.

 

Des traits communs entre croyances marronnes et croyances africaines

- L'interprétation communothéiste (par opposition à monothéiste ou polythéiste) du Divin qui correspond à un corps de divinités vénérées et d'êtres invisibles ;

- la vénération des ancêtres ;

- la transe de possession et de médiumnité ;

- la divination et la guérison par les plantes ;

- et d’autres observées de manières plus ponctuelles, comme la crainte du wisi (la sorcellerie) avec l’interrogatoire du cadavre.

 

On rend aujourd'hui des cultes très importants aux ancêtres fondateurs. Diane Vernon (1992), affirme qu'ils sont avec la forêt, l'un des « deux grands domaines cosmiques » auxquels sont rattachés les Marrons. Nous allons voir à présent, grâce à quelques exemples, de quelles façons ces relations au fait magico-religieux ont contribué à organiser et à structurer la vie sociale des Marrons.

Marronnage5.jpgL’Obia 

Celui-ci est perçu ici comme système social en résistance perpétuelle contre l’oppression quelle qu’elle soit, dogme et/ou écritures, comme le Code Noir ou la Bible, entre autres. Mais c’est une résistance créatrice et rendue à l’exercice, à l’expérimentation, au faire et au savoir-faire plus qu’au croire. Tout d’abord, la découverte de soi et de la liberté de conscience et ce, dès les premiers temps au 18ème siècle. Un système de croyances qui renforce la confiance en soi par l’assurance et la confirmation de la justesse de choix, et d’actes déterminants dans la vie quotidienne depuis le Marronnage.

 

C’est aussi un système de croyances et de pratiques lié à l’environnement, à la connaissance des pharmacopées locales par exemple. Un système lié à une vision d’un monde à désaliéner et à délivrer constamment de la peur, de la honte et du mal sous toutes ces formes. Il s’agit donc bien d’un patrimoine. Il s’agit donc bien d’un héritage disponible, accessible directement par transmission familiale, clanique, culturelle, cultuelle.

Cela consiste en des rites, des cultes parfois très anciens qui accueillent, dirigent, conduisent les adeptes en des expériences individuelles et/ou collectives. Ils confirment et réaffirment ces assurances psycho-spirituelles que construisent ces savoirs, savoir-faire et savoir-être qui composent de très complexes ensembles de pratiques et de croyances s’inscrivant en des espaces magico-religieux populaires très variés.

L’Obia est une réponse à tous les questionnements brûlants comme la traite, l’esclavage, les luttes pour la liberté en de multiples circonstances en ont posé à l’Homme. L’Obia apporte la réponse, la compréhension et le soulagement depuis les cales des navires négriers, dans l’enfer des plantations, lors de la marche forcée au cœur des forêts et jusqu’à aujourd’hui dans la paix sociale… jamais tout à fait garantie.

Il s’agit donc de pratiques expérimentales, de techniques, d’une praxis.

Mais ici il faut être clair, lucide et sincère. Il s’agit de reconnaître en cet héritage la toute puissance de l’Esprit. Il s’agit d’admettre la toute puissance de la pensée magique et de l’imaginaire, mais aussi de toujours mettre cela à l’épreuve du pragmatisme : Efi a Obia bun wi o si ini a koti. (C’est à son efficacité que l’on juge la chose).

Dans ce cas, l’Obia redonne du sens aux choses de la vie. Il permet de guérir des maux, des blessures psychiques et rétablir une vision saine de soi et des autres dans le monde… La praxis obiatique bien encadrée domestique les pulsions, elle provoque et procure le sens de tout en tout. Évidemment, mal encadrées, la transe et l’incorporation peuvent servir des obsessions diverses et des ambitions propres à l’homme en tout temps. Les déviances et manipulations peuvent être légion. C’est pourquoi il convient de Marronner sans cesse.

Dans un village, le Kapiten assisté d’un ou plusieurs Basia, tous hommes reconnus pour leur sens de la médiation, sont là pour réguler, pour donner sens à l’Obia qui exprime souvent la volonté ou le désir des ancêtres. Lui et les Basia reçoivent la parole de ces ancêtres qui donnent forme au monde, ils ont le pouvoir de rassembler le krutu, l’assemblée des hommes lorsque le besoin de se positionner face à un événement est nécessaire, ils dirigeront parfois l’interrogatoire du cadavre lors d’un deuil, surtout si des suspicions de sorcellerie sont présentes…

Ils sont les gardiens et les régulateurs de l’ordre social.

 

L’organisation familiale : des sociétés organisées en clans (lo ou bere) matrilinéaires. Les enfants garantie de survie de la communauté

La marche forcée… pour quitter la plantation, pour y revenir plus tard pour se procurer de la nourriture, des armes et rapter des femmes… Elles seront les épouses et les mères des premiers enfants nés libres, même si cette liberté est toujours à disputer aux planteurs sauvages comme aux chiens molosses et aux chasseurs de Nègres qu’ils envoient à leur poursuite…

Dans ce danger permanent, cette proximité incessante avec la mort, la priorité est d’avoir des guerriers. Et de futurs guerriers ; et de futures mères de futurs guerriers. Alors, on fait des enfants, beaucoup.  Point n’est besoin de parité. Dans cette fréquentation du combat et de la mort, un homme peut féconder plusieurs femmes. D’ailleurs on venait souvent de pays ou de provinces d’Afrique déjà converties à l’Islam. On ne faisait donc souvent que reconduire une pratique auparavant installée dans les régions d’où l’on venait… De même, une femme remplacera son homme mort au combat. L’objectif final étant la survie de la communauté. Plus tard, les enfants iraient combattre à leur tour et, si l’on survivait, Ils pourraient nous prendre en charge lorsque l’on serait âgé(e).

C’est cette organisation qui a traversé les siècles et qui perdure encore de nos jours.

La pression légale française est forte. Si des hommes et des femmes commencent à vivre en couple, cela est surtout dû au fait qu’on habite parfois à la périphérie d’une ville et qu’il faut que les enfants soient déclarés en mairie pour qu’on puisse toucher les allocations familiales. Il faut également disposer de papiers d’identité français, ce qui n’est le cas, parfois, que d’un parent sur les deux.

Le plus souvent, l’homme prendra femme dans un village autre qu'appartenant à son propre clan et aura pour obligation de lui construire son carbet (sa maison)  et de lui défricher un abattis. Il devra aussi la plupart du temps lui offrir une pirogue. Il restera à ses côtés quelque temps, au moins jusqu’aux rites qui auront suivi la naissance. Puis il reprendra les chemins jusqu’au village de son propre clan matrilinéaire ou jusqu’à trouver un « job » pour quelques semaines ou quelques mois. Puis il reviendra auprès de sa femme quelque temps, à moins qu’il n’ait pris une autre épouse entre temps. Il pourra ainsi prendre plusieurs femmes, quatre ou cinq, autant qu’il pourra construire de carbets et entretenir d’abattis, mais toujours dans un autre clan que le sien. Dans les sociétés businenge le rôle de l’homme est réduit à celui de pourvoyeur. C’est un oncle utérin, dans tous les cas, qui sera le représentant légal de l’enfant auprès des autorités, son éducateur et son protecteur.

La responsable suprême de l’enfant comme du lieu où elle va l’élever est la mère.

 

Les pratiques artistiques, le tembe

Marronnage6.jpgDès les tout-premiers temps de la traite un refus viscéral de la soumission a explosé partout ou sévissait l'esclavage. On parle ici et là de petit et de grand Marronnage, de sabotages, de révoltes et de fuites éperdues dans la forêt. Ce sont les paroles des premiers temps, les récits du « Loweten » : histoires fertiles du Marronnage, sources de mille savoir-faire propres à ces temps anciens.

Puis il a fallu recomposer, patiemment, de nouveaux modes relationnels, de nouveaux modes de communication. Jamais sans doute l'estime de soi n'a-t-elle autant été en danger que lors de ces situations extrêmes. Ces savoir-faire issus de la fuite, chargés de vigilance, appelaient chaque jour une nouvelle créativité. Et d'abord sans doute pour communiquer, passage obligatoire pour qui est entré en résistance...

Marques du secret, marques du combat. Premiers savoir-faire de la clandestinité. La trace des mouvements et des luttes de libération sur les murs des factories, dans la poussière des plantations. La tradition orale nous dit que tout a commencé par quelques traits furtivement tracés sur le sol ; la marque du Marron en puissance qui prépare sa fuite en complicité ou organise déjà celle des autres. Signes de reconnaissance et déjà indications ; mises en garde ; invites ; messages codés, discrets, secrets, ritualisés.

Le tout premier savoir-faire du Marronnage est donc le faire-savoir.

Avant toutes choses, ce qui va devenir le Tembe (de ten, le temps et de membe, la conscience) constitue un langage. Le Tembe transmet, communique, raconte. Il montre, il indique. Il signifie au moins que l’information circule et que le message passe de regard en regard, se tournant vers une même direction, la liberté.

Le Tembe est information

Il est aussi instruction. Interactif, il suggère une attitude ou un comportement. On le reçoit plus qu’on ne le lit. Depuis les temps anciens, lorsque les supports précaires : bois, végétaux, parviennent jusqu’à nous, le Tembe est comme l’écho de paroles anciennes appelant toujours une identique attention aux signes, aux marques, aux traces. Certes il a des règles qu’il révèle en expérimentation : tout d’abord la rigueur, la droiture, la complémentarité des opposés, la conjonction des contraires qui dans la lutte impose l’égalité, l’égalité des hommes et des femmes, ensuite. Ces femmes qui, en marronnant, ont gagné leurs places cardinales dans la formation des sociétés nouvelles, des sociétés, je le rappelle, matrilinéaires et matrifocales.

 

Le Tembe, chose impensable du temps de l’esclavage mais savoir-faire issu du marronnage, s’affirme révélateur du beau. Dès lors, la moindre calebasse, mata, cuillère, le moindre bangi, plat à vanner le riz, etc. deviennent le support banal d’un tembe : un objet marqué, wan marki sani, un objet que l’on reçoit de l’autre qui l'a fabriqué pour nous l'offrir. La femme est la grande destinatrice de ces objets qui participent de son univers quotidien et de son mouvement personnel. Chaque objet appuie chaque geste d’un message. Message de désir. Message de passion, célébrant ici l’amour, ici la chance, parfois la fidélité et la liberté toujours.

 

Addendum : le tembe, c'est encore... (cliquez sur les images pour les agrandir)

Marronnage7.jpgMarronnage8.jpg
Marronnage9.jpgMarronnage10.jpg
Marronnage11.jpg

Je tiens à remercier tout particulièrement ici :

 

- Papa Gé, président de Mamabobi ;

- Maxime Thierry, dont les travaux m’ont aidé à mettre en ordre mon savoir parfois dispersé ;

- Antoine Lamoraille, grand artiste, grand Marron, qui a payé en son temps chèrement sa liberté dans les prisons de Giscard d’Estaing, et est à présent reconnu Chevalier des Arts et lettres ;

- tous ceux et toutes celles, Nègres marrons, Businenge, qui m’accordent leur confiance en me faisant partager des moments de leur vie et parfois de celle de leurs anciens… 

 

Consultez ici  les livres dont le Témoin en Guyane est l'auteur !


11/06/2016
4 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au site

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 106 autres membres