Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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UN HÉRITAGE IMMATÉRIEL (1)

21/08/2023

 

 

Les croyances marronnes sont des conjugaisons à mille voix…

 

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L’Obia peut être compris, au-delà d'une croyance transculturelle, comme une science comportementale psycho-sociale contemporaine. C'est l'héritage de plusieurs siècles de pratiques émancipatrices, thérapeutiques et anticipatrices, porté à travers des cultes et des rites d'une Afro-Amérique interculturelle, émancipée et imaginative.

 Comme chacun le sait, les abolitions et l'émancipation historique tardive, – au Suriname par exemple – avaient depuis fort longtemps été précédées par des générations de marronnages et d'auto-libérations pour lesquelles les croyances africaines transportées puis transformées ont joué un rôle fondamental unique de réhabilitation à l'échelle de plusieurs nations Marronnes tout-entières et de leurs milliers de descendants aujourd'hui. Un mot, en fait un concept, résume ces dynamiques auto-émancipatrices et fortement magico-religieuses encore peu décrites en français. Un mot d'origine fanti-ashanti, une expression générique pour un système complexe de croyances et de comportements codifiés qui, en plusieurs siècles de pratiques, ont élaboré sur les deux rives de l’Atlantique un riche corpus de vie sociale et spirituelle : l’Obia.

Image2.jpgCelui-ci est perçu ici comme un système social en résistance perpétuelle contre l'oppression quelle qu'elle soit, dogme ou écritures, comme la Bible et le Code noir, entre autres et comme une résistance créatrice rendue à l'expérimentation plus qu'au croire. Tout d'abord, il a fallu se redécouvrir soi-même avec sa liberté de conscience et ce dès les premiers temps, au XVIIIè siècle. C’est bien un système de spiritualité propre à renforcer la confiance en soi, par l'assurance et la confirmation de la justesse de ses choix d'actes déterminants dans la vie quotidienne.

C'est aussi un système de pratiques en confiance lié à l'environnement, à la connaissance des pharmacopées locales par exemple. Un système lié à une vision d'un monde à désaliéner et à délivrer constamment de la peur, de la honte et du mal sous toutes ces formes. Il s'agit donc bien d'un patrimoine transmis par héritage.

Il s'agit également d'un héritage disponible, accessible directement par transmission familiale, clanique, culturelle, cultuelle. Par éducation, par initiation, mais surtout abordable simplement par la pratique. Un héritage de l'Universel. Et donc, évidemment pas réservé aux seuls descendants de ces Africains transportés, déportés, soumis ou révoltés mais à des milliers d'hommes et de femmes de toutes origines et de tous temps. C'est-à-dire en fait un héritage accessible à tout un chacun qui est séduit et convaincu par une pratique quotidienne. Il s'agit bien d'une discipline expérimentale tout autant que d'une démarche spirituelle existentielle. L'Obia offre un système de croyances très largement partagé en Afro-Amérique. D'innombrables aspects selon les divers héritages géographiques modulent ces pratiques obiatiques. Des rites, des cultes parfois très anciens accueillent, dirigent, conduisent les adeptes en des expériences individuelles et/ou collectives. Confirmant, réaffirmant ces assurances psycho-spirituelles que construisent ces savoirs, savoir-faire et savoir-être qui composent de très complexes ensembles de pratiques et de croyances s'inscrivant en des espaces magico-religieux populaires variés.

Tout cela est d'ailleurs bien connu, décrit et analysé par les anthropologues, sociologues et autres ethnologues, parmi lesquels on compte peu de français, il est vrai.

Ce n'est qu'en 1961 que Jean Hurault publie à Dakar son ouvrage sur les Africains de Guyane. Nous contestons cette appellation, à l’instar de Roger Bastide qui déclare, lorsqu’il évoque l’art des Noirs de Guyane : « Cet art est d'autant plus intéressant que d'abord son origine « ne doit pas être recherchée dans la transposition d'un style africain, mais doit être très probablement regardée comme une invention originale et qu'au surplus, il change au cours du temps ».

Image4.jpgDe fait, même si la spiritualité des Marrons est bien un héritage africain en Amérique avec ses symboles, ses mythes sont évidemment réinterprétés à travers les époques. Ces interprétations répondant, comme toutes croyances, aux nécessités de faire sens pour toutes les situations ou événements de l'existence. Et l’une des réponses à tous les questionnements brûlants comme la traite, l'esclavage, les luttes pour la liberté comme d’autres multiples circonstances ont posé à l'Homme, c’est l’Obia qui apporte la réponse, la compréhension et le soulagement depuis les cales des navires négriers, dans l'enfer des plantations, lors de la marche forcée au cœur des forêts et jusqu'à aujourd'hui dans une paix provisoirement reconstruite. Il s'agit bien de pratiques expérimentales, donc d'une praxis. Les descendants des marrons, même s'ils ont été déportés d'Afrique, ont rejoint désormais la communauté des peuples amazoniens. 

Mais il nous faut être clairs, lucides et sincères. Il s'agit de reconnaître en cet héritage la toute-puissance de l'Esprit. Il s'agit d'admettre en même temps la toute-puissance de la Pensée magique et de l'Imaginaire, mais aussi d'admettre cet argument cardinal de la logique fondamentale : « Efi a obia bun wi o si ini a koti » (C'est à son efficacité que l'on juge la chose). Comme l'avoue cette langue créole comprise par plus d'un million d'individus par le monde, le mawinatongo : Na wan bilibi, c'est une croyance, une foi. Mais une foi, un remède sont jugés selon leur efficience. Ils sont appréciés en fonction de leur puissance sur la souffrance et le mal... Volonté et conscience.

Obia3Car ici l'adepte, le pratiquant ne sont pas seuls. Si l'efficacité de ces croyances, de ces rites ou de ces cultes est incontestable c'est parce que la pratique de l'Obia se vit comme une plongée profonde dans la réponse. Mais pour connaître cela, un préalable psychique incontournable s'impose. Une implication absolue de l'être qui engage tout le cosmos avec lui. Une connexion spirituelle, une relation concrète à l'invisible, à des ailleurs. Avec l'au-delà, avec les Ancêtres, avec des panthéons entiers venus d'Afrique, accommodés, recomposés avec le temps. Sauf peut-être justement ici sur le plateau des Guyanes où le Marronnage libertaire a favorisé une exceptionnelle cohabitation presque exclusivement d’origine Africaine. Une cohabitation impossible partout ailleurs, tels que le Komanti et le Papa, des réalités métaphysiques transatlantiques, puis continentales, avec leurs aspects empruntés aux croyances autochtones, tels l'Ampuku, le Winti et Aïssa... Tous ces emprunts qui en font la seule croyance syncrétique véritablement afro-américaine, sans emprunt aucun à des religions chrétiennes importées. Mais ceci est une autre histoire.

 

Dans ma prochaine chronique, j’irai un peu plus loin dans la connaissance des croyances obiatiques et de leurs préalables à accepter absolument, sous peine de non-efficience…

OKwadjani

 

  Retrouvez bientôt la prochaine chronique d’Olson sur Un Témoin en Guyane


22/08/2023
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