Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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CET OR COULEUR SANG...

22/07/2012

RFI, publié le : dimanche 01 juillet 2012

par Frédéric Farine

 

 

Cet or couleur sang pose la question de la souveraineté...

Le dossier de l'or guyanais prend une tournure très inquiétante. Le double meurtre récent de militaires français n'est qu'une cruelle illustration de plus de l?univers de violence de ces royaumes d'orpailleurs qui échappent durablement à l'État de droit.

 

 

20GUYA-1.JPGL'or sert toujours de monnaie en Guyane, sur les sites illégaux pour régler une chambre, des médicaments, le restaurant sur place ou payer une prostituée.

Pour la première fois dans l?histoire de la Guyane, mercredi 27 juin 2012 deux militaires français ont été tués par balles lors d'une opération de lutte contre l'activité aurifère illicite. La mission des forces de l'ordre était, ce jour-là, de sécuriser un site où la société Auplata, cotée en bourse, possède un permis d'une importante superficie dans le secteur de Dorlin, haut lieu de l'extraction d'or illégal depuis vingt ans. Ceci, dans le cadre d?une stratégie en cours de l'État, des plus expérimentales en matière de sécurité : permettre aux légaux d'occuper l'espace, en forêt isolée, à la place des illégaux.

 

Première alerte

Le matin du 27, première alerte : l'EC-145 biturbine de la gendarmerie (seul hélicoptère qu'elle possède avec un Dauphin de près de 30 ans d'âge) essuie un feu nourri en phase d'approche : « C'était comme si un individu vidait son chargeur », racontera plus tard le colonel Laumont, commandant de la gendarmerie en Guyane. Un gendarme est éraflé à la cuisse par une balle qui a traversé la paroi de l'appareil. Privé de l'un des deux moteurs touché, l'hélicoptère parvient à battre en retraite et à se poser à Maripasoula à 60 km à vol doiseau.

Les autorités décident de reprendre l'opération l'après-midi. Deux Puma de l'armée déposent une trentaine d'hommes, à 2 km des lieux de l'attaque du matin. Après quelques centaines de mètres de marche sur un sentier en forêt, la troupe est brusquement attaquée par armes à feu. Deux militaires perdent la vie, deux gendarmes sont gravement blessés, lun à l'abdomen, l'autre au bras.

Vendredi, le procureur de la République de Cayenne a expliqué, après expertise balistique et autopsie, que les militaires ont été tous deux touchés mortellement au thorax par des balles de calibre « probablement du 7,62 », et des « balles de calibre 5,56 ».

 

Faits de violence répétés à l'encontre des forces de l'ordre

Selon une source à la gendarmerie, « cela peut correspondre à des tirs de kalachnikov pour le plus gros calibre, à un ou des fusils d'assaut pour le 5,56 ». L'enquête est désormais confiée à une juridiction interrégionale spécialisée, à Fort-de-France en Martinique.

Les faits de violence se sont répétés ces derniers mois à l'encontre des forces de l'ordre, au cours des opérations de lutte contre l'activité aurifère illicite. Fin septembre dernier, dans l'ouest, un affrontement par armes à feu entre un gendarme et un chercheur d'or brésilien qui n'avait pas supporté la saisie de son quad, provoque la mort du chercheur d'or. Le gendarme est, lui, depuis devenu paraplégique. Il a été décoré ces dernières semaines, sur son fauteuil roulant.

En mai dernier, sur la rivière Inini, une des voies d'accès vers Dorlin, un échange de feu nourri avait opposé les forces de l'ordre à une pirogue probablement liée à l'activité clandestine.

Jeudi soir, au lendemain de l'attaque de Dorlin, mais cette fois sur le fleuve Approuague (100 km au sud-est de Cayenne), autre région marquée par l'orpaillage illégal, des gendarmes en pirogue se sont fait tirer dessus en voulant intercepter une embarcation. Un gendarme a été blessé au bras. Il a fait l'objet d'un rapatriement sanitaire dans l'Hexagone samedi, par avion militaire, avec les deux gendarmes blessés à Dorlin.

 

Un dossier complexe lié au Brésil et au Suriname

Le dossier de l'or illégal est complexe. Premier problème : les forces de l'ordre n?'nt pas les moyens de rester durablement sur place après une opération de démantèlement. Les « garimpeiros » (ouvriers de l'or brésiliens) ont parfois plusieurs mois pour reprendre leurs activités. Quand les forces de l'ordre interviennent de nouveau, les clandestins ont eu le temps de creuser et d'étayer des puits de dizaines de mètres, s'attaquant à la roche mère.

Les chercheurs d'or s'adaptent à leurs adversaires. « La lutte contre l'activité les oblige à devenir écolos », ironise cet opérateur légal, « pour éviter d?'être repérés par la turbidité de l'eau en aval, ils essaient désormais de travailler en circuit fermé lorsqu'ils exploitent l'or alluvionnaire », ajoute-t-il.

Depuis plusieurs années, ils travaillent aussi sous le couvert végétal, sans déboiser pour échapper aux repérages par hélicoptère. Au début de l'année, le préfet de Guyane avait avoué sa perplexité quant à la faible quantité d'or saisie, entre 5 kg et 10 kg ces deux dernières années, alors que la production clandestine annuelle est évaluée « entre 5 et 10 tonnes ».

Une fuite de capitaux que peuvent aisément expliquer la perméabilité des fleuves frontières qui s'étendent sur des centaines de kilomètres et la facilité à contourner les barrages de gendarmerie par la forêt guyanaise.

 

« Plus de coordination, plus de renseignement »

Vendredi à Cayenne, Victorin Lurel, le ministre des Outre-mer, a estimé « suffisants » les moyens déployés, « un millier d'hommes ». Depuis plusieurs années, la gendarmerie attend pourtant l'arrivée d'hélicoptères supplémentaires pour se projeter plus vite sur les sites. Le ministre a estimé qu'il fallait « plus de coordination, plus de renseignement », reprenant à son compte des arguments développés par le préfet en début d'année.

Le Brésil n'a toujours pas ratifié son accord de coopération avec la France contre cette activité illicite. « Le temps des questions sur la coopération transfrontalière n'a que trop duré », a lâché à ce sujet M. Lurel. Car l'orpaillage illégal est en lien direct avec le Brésil et le Suriname. Lors d'une affaire judiciaire qui sera rejugée en appel fin 2012, les enquêteurs se sont aperçus que des commerçants français et brésiliens de Saint-Elie, isolés au centre-nord de la Guyane, recueillaient, moyennant une commission, l'or des garimpeiros.

Ces commerçants appelaient ensuite au téléphone des comptoirs d'or d'Oiapoque, ville brésilienne à la frontière fluviale. Et les comptoirs d'or viraient sur les comptes de garimpeiros ou de leurs proches, la conversion (en reals, la monnaie brésilienne) de leur production d'or. Alors que le métal jaune se trouvait toujours à Saint-Elie, traversant la frontière par la suite...

 

La question de la souveraineté

AILLAG-1.JPGInterpellé vendredi par la presse sur le fait que ce dossier dépasse manifestement le simple maintien de l'ordre, le général Bernard Metz, commandant des forces armées en Guyane, a déclaré : « La question, c'est la souveraineté de la France sur son territoire, la question c'est le développement harmonieux d'un département qui dispose d'énormément de richesses. Nous n'avons aucun intérêt à vouloir rentrer dans une guérilla quelle qu'elle soit. Ce n'est l'intérêt de personne, y compris des garimpeiros ».

Un site d'orpaillage clandestin, en septembre 2008, à Saint-Elie.

Depuis 2009, des gendarmes ont été installés au bourg de Saint-Elie.

 

L'idée mise sur le tapis par certains élus guyanais d'un recours à la Légion étrangère pour lutter contre cette activité illicite, le général la balaye d?un revers de la main : « C'est un non débat ». Et de poursuivre : « Les forces de l'armée sont en appui de la gendarmerie. Les militaires, nous sommes l'avion, le gendarme, lui, c'est le missile qui va neutraliser la cible. Chacun a ses prérogatives et ça marche bien ».

Dans la lutte contre l'orpaillage clandestin, le discours des autorités confine parfois à la méthode Coué. Pour le colonel Laumont, « si des gens sont désormais aussi violents, c'est qu'ils sont aux abois ». A Dorlin, selon une source travaillant sur place, « la bande de vingt hommes dotée d'armes de guerre » soupçonnée d'avoir tiré sur les forces de l'ordre, « exploite le filon d'or primaire sur le permis d'Auplata ».

 

« Ce sont des gars qui sont déjà morts et ils le savent »

Pour un autre opérateur, bon connaisseur de la région, « ce sont des gars qui sont déjà morts et ils le savent, ils finiront par être tués par les forces de l'ordre ou par d'autres garimpeiros parce qu'ils leur font de la mauvaise publicité. Ils font même peur à d'autres trafiquants de la zone car tous ne sont pas violents ».

La bande qui est soupçonnée de faire régner la terreur sur Dorlin serait celle qui, en janvier dernier, avait éliminé une « autre bande » sur la zone, au moment de la visite de Nicolas Sarkozy. Cinq corps avaient été retrouvés, le sixième jeté au fond d'un puits illégal n'en a jamais été extirpé. La Guyane, plus vaste que l?Autriche, n'a pas non plus d'hélicoptère dédié à la sécurité civile.

Frédéric Farine, pour RFI

 



22/07/2012
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