« LA GUYANE DANS TOUS SES ÉTATS », une conférence de Joël Roy
02/06/2016
Montauban, 1er juin 2016
La guyane est un département atypique par sa situation et sa conformation.
Très souvent, lorsqu'on parle esclavage, l'on entend Caraïbes. Mais, et en Guyane ? Quel est ce département atypique dont on ne sait trop, depuis l'Hexagone, s'il s'agit d'un département, d'une région ou encore d'une « vieille colonie ».
Quel est donc ce peyi, quel est ce kondre ?
Une conférence pour mieux comprendre...
La Guyane est située au nord de l’Amérique du sud à près de 8000 km de l’hexagone, et se trouve être une une région mono-départementale française.
Avec une superficie de près de 84 000 km2, la Guyane est le plus grand département français. C'est également le plus boisé, 95 % environ du territoire étant couvert d'une forêt équatoriale qui reste parmi les plus riches du monde. Cette forêt, qui couvre tout le bassin amazonien, est d’ailleurs qualifiée de « poumon de la planète » et de « première forêt tropicale humide européenne ». Le reste est constitué d’une bande côtière, environ 5% du territoire où se concentrent 90% de la population.
Une autre chose est remarquable : c’est en Guyane que la France partage sa plus longue frontière avec un autre pays : le Brésil (730 km).
La Guyane, située entre 2° et 6° de latitude Nord est soumise à un climat de type équatorial humide. Cette position privilégiée proche de l’équateur, ainsi que sa façade océanique, lui confère une bonne stabilité climatique. Ainsi, on observe une grande régularité des vents et des températures, qui varient faiblement au cours de l’année. Seules les précipitations connaissent des variations annuelles conséquentes, et c’est donc principalement ce paramètre météorologique qui détermine le rythme des saisons guyanaises.
Deux saisons principales :
- une saison sèche de juillet à décembre,
- une saison des pluies de décembre à juin, coupée par le « petit été de mars ».
Peu de variation des températures selon la saison, seul le niveau de précipitations fait la différence : 5 à 8 m d’eau/année selon les lieux et les années, avec des températures en journée de 28 à 32°c.
L'essentiel de la région se trouve à une altitude comprise entre 100 et 200 mètres, signe que l’on se situe sur un relief très ancien.
Deux grandes régions topographiques peuvent être distinguées :
- la plaine côtière (ou terres basses) qui s'étend sur quelques dizaines de kilomètres depuis la frontière maritime. Elle représente environ 450 000 ha recouverts de marécages et de savanes. C'est une plaine alluviale, plus ou moins inondable d'une altitude le plus souvent inférieure à 30 mètres. C’est également à cet endroit que réside l’essentiel de la population ;
- les terres hautes qui se développent sur le plateau des Guyanes et représentent près de 95 % du territoire. C’est le nord de la grande forêt amazonienne, dont bien des aspects, bien des caractéristiques restent à découvrir.
La faune
Elle comprend bien des animaux qui « nous font peur »… Citons, en milieu terrestre ou aérien :
- Le jaguar et le puma qui en sont les plus gros prédateurs ;
- Le caïman qui peuple nos cauchemars ;
- Les serpents, venimeux ou constricteurs ;
- Un nombre incalculable d’insectes ou arachnides, dont la réputation est largement surfaite… Le plus dangereux étant le moustique (la dengue, le chikungunya, le zika dont vous avez dû entendre parler, sans oublier le paludisme, également nommé malaria…).
- En milieu aquatique, les fameux piranhas que tout le monde connaît, mais aussi l’aïmara, le kumaru… la plupart de ces poissons ayant une chair délicieuse.
- Sans oublier tous les animaux qui « ne nous font pas peur » : mammifères, oiseaux et autres amphibiens, reptiles et insectes… Autant d’espèces d’insectes sur 1 ha de Guyane que sur tout l’hexagone, et on en découvre de nouvelles chaque jour. Mais la biodiversité est un sujet à lui seul et n’est pas l’objet de cet exposé.
La Guyane au crible de son peuplement
Elle compte actuellement environ 244 000 habitants pour une superficie de près de 84 000 km², ce qui donne une moyenne inférieure à 3 hab/km² (moins que la Lozère qui détient le record du département métropolitain le moins peuplé avec une quinzaine d’habitants au km²).
90% de la population résident sur la bande côtière qui, ainsi que je vous l’ai dit précédemment, compte environ 5% du territoire. Les 95% restant sont recouverts par la forêt primaire qui abrite des populations autochtones ou traditionnelles (Amérindiens et Businenge).
Les principales villes sont :
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Cayenne, la préfecture, avec 54 709 habitants ;
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avec Matoury et Rémire-Monjoly les trois villes forment la plus grande agglomération de Guyane, avec 106 591 habitants, ce qui fait donc pratiquement la moitié de la population guyanaise ;
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Saint-Laurent du Maroni, la sous-préfecture, avec 41 515 habitants ;
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Kourou, la « ville d’Ariane », avec 25 793 habitants ;
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Mana et Awala-Yalimapo, avec 10 943 habitants.
Voilà pour les principales communes de la bande côtière (184 842 habitants, soit plus des trois-quarts de la population guyanaise totale) ;
Voyons à présent quelques autres villes, notamment de l’Intérieur :
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Maripasoula, à l’ouest, sur le fleuve Maroni (frontière avec le Suriname), avec 10 477 habitants, c’est la ville la plus peuplée de l’intérieur :
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Papaïchton, en remontant vers le nord, avec 3 355 habitants ;
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Grand-Santi, avec 6 343 habitants ;
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Apatou, plus au nord encore, avec 7 649 habitants ;
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À l’est, sur le fleuve Oyapock (frontière avec le Brésil), Saint-Georges avec ses 3 907 habitants
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En remontant le fleuve vers le sud, Camopi, avec 1 707 habitants ;
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À l’embouchure, tout au nord, Ouanary, avec 135 habitants ;
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Dans le plein centre, au cœur d’une région « montagneuse » nommée parfois Massif Central (le sobriquet de la Montagne Continent), son altitude maximale est de 640 mètres, c’est Saül, avec 150 habitants…
Ces chiffres proviennent de projections faites depuis le recencement de 2013, de l’observation des populations dites légales en 2015, car ils ont été publiés fin décembre 2015 par l'Insee et servent de référence pour tout 2016 pour ce qui concerne les documents et calculs officiels.
Il est difficile en fait d’évaluer avec exactitude la population globale de la Guyane, tout comme celle de chacune des villes. Une très forte natalité dans l’ouest notamment liée à une immigration importante fait que les chiffres de l’Insee sont quasiment obsolètes sitôt publiés.
Cependant les projections démographiques opérées, d’une part en suivant l’évolution de la natalité et de la mortalité, d’autre part en étudiant les flux migratoires, font état d’une augmentation exponentielle du nombre d’habitants ; d’ici à 2025 l’Ouest guyanais pourrait compter 200 à 250 000 personnes, soit l’équivalent de de la population guyanaise toute entière actuellement.
La population
Elle est également d’une rare diversité :
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Cinq groupes de population amérindienne possédant chacun sa langue ;
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Six groupes Businenge, les descendants des nègres marrons (dont la plupart n’a pas encore quitté la forêt, dont quatre principaux, possédant tous leurs langues respectives ;
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Les Créoles, guyanais et antillais, parlant leur créole respectif ;
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Les Hmong, originaires du Laos, qui représentaient une part non négligeable des boat-people, parlant la langue Hmong (pas d’agriculture fruits et légumes sans eux) ;
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Les Haïtiens parlant le créole haïtien ;
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Les chinois de l’ethnie Haka, avec leur langue, détenant les petits commerces ;
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Les Javanais et Indiens du sud asiatique (les coolies) ;
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Les Syro-libanais, détenant les commerces de moyenne ou grande surface ;
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Les Brésiliens parlant le portugais brésilien ;
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Les surinamais, parlant le néerlandais ou le sranantongo ;
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Les Guyaniens parlant anglais ;
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Les métropolitains, le plus souvent « de passage », qui sont les seuls à ne parler qu’une seule langue ;
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Et d’autres, venant de toute l’Amérique latine, parlant l’espagnol…
Les relations, tant entre populations allogènes qu’exogènes sont parfois difficiles.
J’y reviendrai…
Les modes de vie
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Les citadins sont employés administratifs ou de services, principalement. L’immobilier locatif en ville est très cher et ne peut qu’être réservé aux fonctionnaires ou à des commerçants aisés.
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Les Amérindiens et les Businenge vivent en bordure de fleuve, protégés et nourris par la forêt. Parfois attirés par le miroir aux alouetttes de la consommation, ils rallient alors les villes, où ils vivent parfois dans des conditions de précarité et un habitat digne des bidonvilles du temps de l’abbé Pierre, sans eau ni électricité…
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Les Chinois ont l’exclusivité, dans les faits, des petits commerces de proximité ;
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Les Syro-Libanais se partagent parfois avec les Témoins de Jéhovah la gérance des magasins à grandes surfaces ;
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Ceux que l’on appelle les Coolies, les descendants des Asiatiques Indiens ou Javanais amenés pour pallier le manque de main d’œuvre qui avait suivi l’abolition de l’esclavage, proposent leurs services pour des réparations mécaniques ou de menus travaux. Il en va de même pour les Brésiliens, avec une spécificité pour ces derniers : les métiers du bâtiment.
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Les hmongs exercent un quasi-monopole sur la culture et la vente maraîchères ;
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etc.
On le voit, il semble qu’une espèce de déterminisme assigne à chacun une fonction précise dans la société guyanaise. Pour autant, il ne viendrait à l’idée de quiconque n’étant pas chinois de monter une épicerie, ni à personne de vendre des laitues ou des fruits sur le marché s’il n’est pas hmong. Les gens du fleuve ou de la forêt (principalement Businenge ou Amérindiens) ne vendront, pour leur part, que des racines comme le manioc ou les dachines et des bananes qu’ils auront récoltées sur leur abattis (la culture traditionnelle sur brûlis), à l’exclusion de tout autre fruit. Parfois des Amérindiens vendront sur le marché leurs poissons boucanés.
Tous autres échanges commerciaux ne pourront qu’être individuels et non habituels.
L’art et l’artisanat
Ils sont propres à chaque groupe de population. La musique… le tembe… la broderie… la danse… portent tous la marque ethnique de la population qui les pratique.
Je ne pourrai donc pas vous en parler bien longuement d’une manière généraliste, car il faudrait s’attacher à chaque fois à un groupe de population pour évoquer avec vous ses artisanats traditionnels.
Citons tout de même les plus fréquents :
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travail du bois,
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de l’argile (poterie),
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ou encore tissage traditionnel d’étoffes (notamment des hamacs) à partir de culture domestique du coton.
Toutes autres pratiques (musique, vêtements - fonctionnels, décoratifs ou rituels -, coiffure, marques et dessins corporels…) étant propres à l’un ou à l’autre groupe de population ne peuvent par conséquent être étudiées et exposées qu’à travers une étude à base anthropologique de l’un de ces groupes.
Le magico-religieux et l’héritage des temps anciens
L’organisation sociale en villages ou de clans alliés est, chez les Businenge comme chez les Amérindiens, un héritage traditionnel du passé (les Amérindiens) et même, pour les Businenge, de leur Afrique originelle.
Vous remarquerez que j’exclus de fait de mon exposé (mais vous en comprendrez aisément les raisons) les populations pratiquant les rites chrétiens, catholiques ou évangélistes sur des modes plus ou moins sectaires, rites et croyances acquis au contact des Blancs européens car, à présent adoptés de fait ils se sont imposés au cours des siècles, parfois de force, et ont peu à peu remplacé les fondements même de base des cultures traditionnelles jusqu’à les faire complètement disparaître.
Je traiterai plus longuements de ces savoirs hérités du passé dans la prochaine conférence que je donnerai ici le 10 juin prochain, intervention que j’ai nommée « les héritages du marronnage ». Parmi ces savoirs et coutumes j’évoquerai :
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L’union homme/femme, les unions polygames ;
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les enfants : comment leur enseigne-t-on les savoirs traditionnels ?
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La gestion de la mort : obsèques et survivance de l’âme… Que devient le défunt après son décès ?
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Et d’autres pratiques artistiques et mystico-religieuses.