Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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Lire : RAPATRIÉS, Néhémy Pierre-Dahomey

26/01/2020

 

Exils, exils...

 

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L’Incipit démarre assez fort : « Belli marchait, vaillante et décidée, sur ce sentier aussi simple qu’un calvaire ».

La figure est celle d’un personnage féminin, une mère haïtienne au nom et au caractère trempés, personnage central du texte, qui prend la mer clandestinement sur l’embarcation à voiles de Frère Fanon, en partance pour les États-Unis. Au troisième jour de traversée, la tempête malmène le bateau à tel point que Belliqueuse Louissaint « lance son enfant dans la marée », l’offrant en quelque sorte à la mer.

À son retour (miraculeux ?) en Haïti, les pièces de sa famille s’installent dans un quartier nommé Rapatriés, au nom si juste et bien choisi. C’est une « bourgade asymétrique d'une soixantaine de toits lâchés de tous côtés ». Là, Belli subira les chaos et cadeaux de la vie, cadeaux qu’elle décidera de casser jusqu’à ce qu’il ne lui reste plus rien à casser qu’elle-même. La déchéance d’un fils né auparavant, deux fillettes dernières-nées qu’elle va offrir en adoption…

Après avoir offert un fils à la mer, elle offre donc ses filles à d’autres mères…

L’écriture de Néhémy Pierre-Dahomey est rythmée, musicalement rythmée. Ce livre s’ouvre, comme un concerto tragique, sur un thème qui est celui de l’exil. Vont suivre des cycles de variations sur ledit thème : des exils extérieurs, exils intérieurs, la terre d’Haïti en ostinato, des personnages et des événements qui vont venir percuter Belli comme autant de coups de cymbales ou de brutales variations dans les différents modes, majeur ou mineur.

L’écriture de Néhémy Pierre-Dahomey est métaphorique, souvent lucidement oxymorique ou antithétique. Après la décision prise par Belli de donner ses filles pour adoption, le Pasteur, seul mis au courant, « n’avait pas encore d’avis. Il attendait de consulter Dieu le Père, qui seul pouvait décider si Belli devait transférer sa responsabilité d’élever les enfants que, du haut des cieux, il lui avait confiés ». Plus loin, on découvrira le premier meurtre du fils trop absent de Belli : « le meurtre qui lui servit de rite initiatique garantissait par sa simplicité cruelle une intégration incontestée […]. Le jeune homme dont il explosa la cage thoracique était un adversaire farouche lors des meilleurs matchs de foot. C’était un petit vieux de dix-sept ans […] ».

On tombe aussi parfois, au détour d'une page, sur une phrase ou une expression relevant de l'humour le plus noir et le plus cynique (donc cruel) comme ici, dans un passage évoquant le tremblement de terre : « Moins de quatre jours après le cataclysme, un écriteau signalait là-bas que la fosse commune ne pouvait plus recevoir un seul orteil ».

Ne nous y trompons pas. Cette apparente cruauté n’en est pas.

Elle est l’aboutissement d’un regard distancié sur son pays, une mise à distance rendue indispensable par le refus de tomber dans la victimisation. Les personnages de Rapatriés, le lecteur les regarde, avec étonnement ou parfois répulsion, avec empathie, toujours. Ils ne sont pas des victimes, en tout cas je ne pense pas que Néhémy les ai considérés comme cela. Ils gèrent leurs drames, les accidents de leurs vies comme leurs bonheurs (rares, il faut en convenir) avec l’énergie des êtres qui sont sur la terre pour aller au bout de leurs vies.

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Néhémy Pierre-Dahomey est né en 1986 à Port-au-Prince et vit actuellement à Paris. Il est, selon moi, l’une des plumes les plus prometteuses à l’heure actuelle.

 

 

 

Rapatriés, roman

Le Seuil, Cadre rouge

2017

192 pages

16,00 €

ISBN : 9782021344516

 

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26/01/2020
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