Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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INDIENS GUAJAJARA : TRISTES TROPIQUES

16/08/2015

Une forêt mutilée par l’extraction industrielle de minerai

 

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Les Guajajara survivent à l’orée de notre civilisation qui, peu à peu, les a cernés. Assis dans un hamac, les jambes ballantes, Federico se protège du soleil sous l’auvent de la seule maison en dur du village de Juçaral, en dégustant un morceau de canne dont il aspire bruyamment le sucre entre les dents. Les autres logis sont faits de murs en pisé et toits de palme. Près de lui, Sylvio, son ami d’enfance. Federico a 31 ans, Sylvio, un an de plus et quatre enfants. Porte-parole de la Coapima, une association qui tente de fédérer les Indiens de l’Etat du Maranhão, Sylvio est né dans ce village, comme sa mère avant lui. Son père était « un descendant d’esclave », dit-il. « Jusqu’à 10 ans, jamais je n’avais porté un tee-shirt. Je vivais nu, sans influence extérieure, je savais chasser, pêcher, et nous étions plus proches les uns des autres ».

Cette terre était celle de nos ancêtres, nous ne sommes pas dans une réserve.

L’instant est solennel: dans une demi-bouteille de plastique, Federico prépare l’urucu, la mixture qu’il va nous appliquer sur les bras. Un mélange de plantes, de racines et de teinture naturelle, couleur bleutée. Sur un cahier, il a dessiné les motifs à reproduire. Ces peintures doivent nous protéger des esprits de la forêt où nous allons pénétrer. De la poche de son short, Federico sort la parure en plumes de perroquet qu’il fixe sur sa tête. Arc et flèches sur une épaule, fusil sur l’autre, machette à la ceinture, il ouvre la route. Le chemin est déjà défriché. A la ­sortie du village, des champs de manioc, fins ­arbustes que la végétation luxuriante menace ­d’engloutir. Ce sont les seules cultures des Guajajara; Federico et ses voisins en vendent les fleurs qui assaisonnent tous les plats brésiliens. Depuis qu’il faut faire avec les Blancs, impossible de vivre sans argent. Le chemin est étroit, les broussailles griffent les jambes, mais nous ne sommes pas encore dans la forêt vierge: pour l’atteindre, il faut marcher plus de six heures. Comme une vague, la forêt s’est retirée. Après plusieurs kilomètres, une percée: nous arrivons sur une piste. Dans le sable rouge, les marques laissées par un camion, il y a quelques heures à peine. Au bord de cette route, de la terre brûlée et des troncs coupés. Les bûcherons l’empruntent pour y transporter, en toute ­illégalité, les arbres qu’ils viennent d’abattre.

Les arbres tombent, et les hommes en crèvent. Vu du ciel, le territoire Arariboia est un confetti, un îlot de végétation tropicale dans une étendue où la forêt a depuis longtemps disparu. A la place, des prairies envahies par les milliers de têtes de bétail des grands propriétaires terriens, et des plantations d’eucalyptus à perte de vue. Les fonderies de minerai de fer où se consume le charbon de bois crachent une fumée noire. Une autoroute jouxte la voie ferrée sur laquelle les trains ­circulent 24heures sur 24. Ces longs serpents de bitume et de métal coupent en deux le ­territoire indien comme une plaie. Les Guajajara vivent là depuis la nuit des temps. Et leur ­combat nous paraît si ancien!

 

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Sylvio et Federico parlent encore la langue tupi, mais ils ont aussi appris le portugais. Depuis que le gouvernement de Lula a attribué des bourses aux familles qui scolarisent leurs enfants, les petits ­Guajajara fréquentent davantage l’école, construite au croisement des trois villages environnants. Sylvio a apprécié de «découvrir l’extérieur, dit-il. Mais ma culture est en compétition avec la culture moderne dont les règles nous ont été imposées, et nous ne savons plus comment lutter».

Sur le banc de la maison voisine, un homme est allongé. Il est resté plusieurs jours en ville, à boire. L’alcool fait des ravages chez les Indiens, tout comme les maladies vénériennes, ou les ­maladies virales contre lesquelles ils ne sont pas ou peu immunisés. Incapables de s’adapter, beaucoup tombent dans de lourdes dépressions, certains se suicident. Près de l’homme encore ivre, des jeunes rigolent autour d’une moto sur laquelle ils ont posé une enceinte qui crache de la variété. Eux n’ont jamais vraiment chassé. Le monde moderne les a progressivement happés. Avec le plan «Luz para todos», la lumière pour tous, l’électricité est arrivée et, avec elle, la télé. Les derniers peuples nomades se sont fixés, leurs repères ont changé.

Nous voulons notre terre et la forêt. Sans elles, nous souffrons.

Ce sol où reposent leurs aïeux ne leur appartient plus. Le gouvernement leur en laisse la jouissance, mais toutes les ressources naturelles qui en sont extraites doivent lui revenir. Seules sont autorisées les cultures  qui permettent aux Indiens de survivre. Un décret prévoyait de modifier le Code forestier et de réduire encore leur territoire: le 25mai dernier, la présidente Dilma Rousseff y a posé un veto partiel. Les grands propriétaires ont pour obligation de laisser 20% de leurs terres à l’état sauvage, mais cela n’est pratiquement jamais respecté. La déforestation assèche les sols, les eaux de pluie ruissellent et provoquent l’ensablement des rivières, polluées par les excréments des animaux d’élevage. Les points de baignade ancestraux sont fréquentés par les ouvriers agricoles qui viennent y boire. Des milliards de dollars financent, depuis 1979, l’exploitation du fer et de l’aluminium dans la région. Pour transformer le minerai de fer en fonte brute, les entreprises utilisent le charbon de bois comme combustible. Le bois de ces forêts est le plus prisé, et le charbon de bois épuise les zones protégées et les pollue. La fonte brute sera exportée, principalement aux États-Unis où on l’utilise pour la production automobile, BMW, Ford ou Mercedes. L’État réagit: à la place de la forêt sacrifiée au dieu du charbon, le gouvernement finance la plantation de millions d’eucalyptus. Mais des sociétés ont «graissé la patte» de certaines communautés indiennes pour mettre la main sur ce territoire protégé. La ­région a vu déferler des repris de justice, des gros bras venus se planquer à l’ombre de la canopée, des têtes brûlées qui dominent une main-d’œuvre servile: hommes, femmes et enfants, parmi les plus pauvres du Brésil, réduits en esclavage.

 

495.jpgMeurtres, corruption, prostitution...

Des leaders associatifs et syndicaux ont été tués. La prostitution gangrène les campements. Des chefs de village sont corrompus par les bûcherons. «Jusqu’à 150 camions par jour peuvent sortir de ce territoire, explique João, de la Cimi, une association de protection des Indiens. Certains chefs se font payer 10 reals de l’arbre, et chaque camion transporte 10troncs. Chaque mètre cube de bois sera revendu 300 reals à la scierie.» A l’ouest du village, dans l’autre monde, la ville d’Amarante, la plus proche, est le repaire des narcotrafiquants de marijuana dont les champs s’étendent plus au sud. Pris en tenaille entre ces terrains hostiles où l’on règle ses comptes à coups de fusil, les Guajajara paient de leur sang la défense de cette frontière devenue ligne de front. Fin du mois d’avril, le chef indien Mario Amélio a été abattu devant sa famille. En janvier, Federico et ses proches ont trouvé dans la forêt les restes d’un enfant Awa-Guaja (Indien nomade) calciné. Selon la Funai, l’organisme gouvernemental pour la protection des autochtones, ces Indiens seraient entrés sans le vouloir en contact avec des forestiers. «Nous sommes très inquiets pour eux, explique Federico. Les Awa-Guaja refusent d’être contactés. Depuis ce drame, nous ne savons plus où ils sont, nous les avons perdus.» Ils sont une soixantaine, derniers nomades. Quant aux Indiens Awa il en reste 350, répartis dans des villages plus au nord. «C’est pour eux aussi que nous nous battons, dit Federico. Si le gouvernement a l’argent pour planter des eucalyptus et financer des mines, pourquoi ne l’a-t-il pas pour nous protéger? Nous ne voulons pas ce progrès tel qu’on nous le propose, nous voulons notre terre et la forêt. Sans elles, nous souffrons ».

Visionnez la vidéo en cliquant sur le lien ci-dessous

 

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16/08/2015
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