Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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AU BRÉSIL, C'EST -TOUJOURS- LA CRISE (4)

02/07/2013

Et si les Brésiliens montraient la voie ?

Source : l'excellent site de Benjamin Borghesio

http://www.borghesio.fr/

 

Les politiciens de France et de l'Union européenne feraient bien d'ausculter le mouvement du sous continent latino-américain. On ne berne pas un peuple à l'infini, et on a tort de sous estimer ses aspirations. Le mouvement auquel nous assistons est d'autant plus surprenant que, contrairement à la vieille Europe qui se débat dans un marasme persistant depuis des décennies, sans perspective de s'en sortir, le Brésil était sur une pente ascendante, avec un taux de croissance qui faisait rêver la moitié de la planète et surtout une situation sociale qui s'améliorait d'année en année.

4-copie-4.jpgBref, même si la plupart des Brésiliens partaient de très bas, même si les inégalités demeurent criantes (le pays est à cet égard un des pires du monde), ils possédaient quelque chose que nous avons oublié en France comme dans la plupart des pays européens : l'espoir qui génère l'optimisme.

Mais une conjonction de circonstances et un point de détail : 20 centimes d'augmentation du prix des bus, une manifestation de protestation réprimée avec sauvagerie par la police du Gouverneur de S. Paulo étonnamment soutenu par le Maire, appartenant au PT, a ajouté une donnée: la colère et l'impatience.

2-copie-8.jpgIl est paradoxal de constater que quand les instances nationales et européennes s'acharnent (le plus souvent avec succès) à démanteler nos services publics, les Brésiliens descendent en ce moment par millions dans la rue pour obtenir que les leurs fonctionnent un peu moins mal. Je garde le souvenir de Ricardo et Clayton, jeunes Paulistas que j'ai reçus, qui étaient ahuris de mon énervement quand notre TGV est arrivé avec vingt minutes de retard : au Brésil, cars, trains (rares) et avions partent quand ils veulent pour arriver quand ils peuvent. En outre, l'événement qui scandalisa la France le mois dernier, faisant la Une des informations, cette rame de RER prise d'assaut par des voyous qui ont détroussé les voyageurs n'aurait surpris personne là-bas : cela se produit des dizaines de fois chaque jour, un peu partout dans le pays, de jour comme de nuit (les cars interestaduais arrêtés en pleine nature par des bandits armés, leurs voyageurs mis en slip sur le bord de la route pour être complètement dépouillés, c'est quotidien).

Pendant que nos Agences Régionales de santé, sous couvert de rationalisation, ferment des structures médicales par centaines, contraignant des femmes à aller accoucher à 80 km de chez elles et des malades à patienter 48 h sur des brancards dans un service d'urgence en attendant qu'un lit se libère quelque part, les Brésiliens se révoltent pour que leur SUS (qui a au moins le mérite d'exister grâce à Lula) fonctionne un peu mieux.

À l'heure actuelle, au Brésil, pour obtenir une consultation chez un spécialiste, il faut passer par un généraliste « trieur », patienter des semaines voire des mois sur une liste d'attente avant de rencontrer un spécialiste pour une consultation qui dure de cinq à dix minutes (à titre d'exemple, un patient, en attente depuis quatre mois d'une consultation chez un cardiologue pour faire baisser sa tension, vient de faire un AVC).

L'ex-Président Lula qui a un tempérament lyrique a commis un de ses rares faux pas quand il a chanté les vertus de son bébé, le SUS (« on a presque envie d'être malade pour en profiter ») alors que comme tous les gens qui en ont les moyens, il a soigné 1-copie-9.jpgson cancer dans une structure privée très chère (où on paye cash et avant les soins quand on n'a pas cotisé à un plano de saude, une assurance santé privée très coûteuse).

 

La Présidente Dilma a annoncé l'arrivée de 5.000 médecins cubains qui amélioreront le SUS (encore qu'ils sont rarement lusophones) le temps que les Universités brésiliennes « sortent » les médecins manquants. Seulement, d'une part cela ne règle pas le problème des infrastructures (les médecins ne consulteront pas dans la rue et n'opéreront pas dans des salles d'attente), d'autre part rien ne garantit que les futurs médecins serviront au SUS quand hôpitaux et cliniques privés leur fourniront des conditions financières et matérielles infiniment meilleures.

 

2-copie-1Idem pour l'enseignement. Dans les classements de l'OCDE, le Brésil est un des pays les plus mal classés pour la qualité de son enseignement primaire et secondaire. Malgré la sélection drastique pour entrer à l'université, une fois qu'on y est, on étudie dans de bonnes conditions. C'est ce qui pousse toutes les familles (sauf les plus pauvres) à se saigner aux quatre veines pour inscrire leurs enfants dans des écoles privées qui engloutissent parfois 40 à 50% des revenus familiaux.

Passons sur les transports en commun. Des millions de Brésiliens, passent quatre heures par jour debout, dans la chaleur et la promiscuité pour aller et revenir du travail (en plus, dans l'insécurité).

Dilma paye cher... l'accession de millions de Brésiliens à un statut de « classe moyenne basse » qui leur a permis de savoir ce qui se passe ailleurs dans le monde (par le biais d'un voyage en Europe de huit à dix jours, payé avec un crédit qui courra sur quatre ans...), qui facilite les comparaisons, et par une instruction un peu meilleure qui permet de sortir de l'emprise de décervellement massive tentée par le groupe Globo, ses émissions d'une connerie incommensurables, ses reportages tronqués, son bourrage de crâne perpétuel. Les appels au boycott des médias possédés par ce groupe se multiplient (ce qui fait chuter sa valeur de cotation).

3-copie-6.jpg

Pour ma part, on m'aurait dit il y a seulement un an que les Brésiliens manifesteraient par millions sur le thème : des écoles, des bus, des hôpitaux avant des stades, dans le pays où le futebol a un statut de religion d'état, que la Présidente en arriverait à ne pas oser assister à une finale de Coupe internationale de football (la coupe des Confédérations, gagnée par le Brésil, qui plus est) par peur de la bronca qui l'aurait accueillie que j'aurais éclaté de rire tant c'était inimaginable.

 

Véritablement, ce pays évolue dans le bon sens et le sens critique de ses citoyens permettra de moins en moins aux politiciens de leur faire gober n'importe quoi.

 

Que s'est-il passé ? Dilma a tenté une politique à la Merkel (toutes proportions gardées). Alors que le pays manque gravement d'infrastructures (ce qui en plus d'empoisonner la vie de ses citoyens, limite son développement), que sa dette n'est que de 61% de son PIB (qui plus est détenue pour l'essentiel par des Brésiliens, ce qui limite les risques d'attaque monétaire), elle a donné la priorité à un improbable plan de « sérieux économique » en période de ralentissement de la croissance au lieu de faire une intelligente relance économique par des investissements de 50 milliards d'euros sur dix ans, (on en a bien mis 20 pour la Copa et les JO) pour créer enfin les infrastructures qui font défaut, comme :

- un TGV Rio-São Paulo qui diminuerait de 40% le trafic aérien intérieur menacé d'étouffement ;

- des routes convenables ; on imagine la perte de compétitivité d'une économie quand la quasi-totalité des transits de matières premières et de produits finis se fait avec d'énormes camions roulant sur des routes cabossées et éminemment dangereuses ;

- des écoles qui, sans être luxueuses, permettraient d'étudier sans étouffer, sans devoir organiser des rotations pour que trois classes se partagent le même local ;

- assez d'hôpitaux pour que le système universel de santé (SUS) dont le principe est excellent fonctionne normalement ;

- des transports urbains réguliers et dotés d'un confort minimal (liste non exhaustive).

 

6-copie-2On ajoutera que sa réponse aux protestataires, la proposition une réforme constitutionnelle initiée par une assemblée constituante, même si elle est indispensable, est complètement décalée. On ne peut que faire la comparaison avec la réaction de Charles de Gaulle quand il suggéra un référendum sur la participation quand les événements de mai 1968 éclatèrent, et qui fit un bide: la classe ouvrière voulait voir ses salaires augmentés et gagner de nouveaux droits syndicaux, les étudiants voulaient déverrouiller une société bloquée. Personne n'était intéressé par de la parlotte institutionnelle.

A contrario, le projet de réforme appuyé par de nombreux partis (on les comprend...) qui retirait l'initiative des enquêtes aux Parquets alors que ces derniers, indépendants au Brésil, ont sorti toutes les affaires de corruption qui défraient la chronique pouvait être retiré de suite, surtout qu'il révoltait l'opinion. Idem, l'application des décisions de justice purement virtuelles au Brésil dès lors qu'elles touchent la classe politique aurait satisfait un peuple qui, lui, risque la décision préventive pour des broutilles. Car on ne compte plus, dans ce pays, des ministres, des parlementaires, condamnés à de lourdes peines de prison mais demeurant libres comme l'air.

En outre Dilma a depuis le début une communication incohérente. Elle commence par rappeler, pour se dédouaner des premières brutalité policières (à S. Paulo) que le maintien de l'ordre est de la compétence exclusive des Gouverneurs de chaque état, et annonce ensuite « qu'elle comprend les manifestants mais qu'elle ne tolérera pas les actes de vandalisme ».

Il faudrait savoir... Dans la même veine, après avoir signalé (ce qui est vrai) que les transports et les écoles sont de la responsabilité des pouvoirs locaux (ce qui est vrai), elle annonce deux jours plus tard des milliards de Réais d'origine fédérale à cet effet... On ne s'étonnera donc pas que dans ces conditions, sa popularité a chuté de 27% en une semaine, ce qui n'est pas le plus grave : le problème, c'est qu'on ne voit pas quelle solution politique pourrait apparaître à la place de tactiques essentiellement politiciennes.

1-copie-4Pour ma part, je n'ai pu m'empêcher de comparer la situation au Brésil avec la vie politique française. Suite à la dernière législative partielle, ces débats politicards sur la tactique à employer pour barrer la route au Front national : « front républicain », « union de la gauche sans exclusive dès le premier tour », mais aucune voix pour clamer que le seul remède viable serait de cesser de faire porter le poids de la crise qui est celle d'un système sur un peuple qui, dans sa grande majorité, le récuse.

* * *

Les solutions se trouvent dans les mesures à prendre, pas dans les stratégies de contournement ou d'évitement.

 

 



02/07/2013
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