Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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DIEU T'A CRÉÉ, TU AS CRIÉ... Michel Alimeck

16/01/2024

 

 

Peuples marrons du plateau des Guyanes : une intégration difficile 
 
Image de couv.jpgUne histoire des Guyanes                                                                                                                                                              Publié en 1980, Dieu t'a créé, tu as crié... est un des premiers textes à raconter l'histoire des peuples marrons du Plateau des Guyanes depuis leur propre point de vue.                                                                                                                Alimeck raconte le monde de ces descendants d'esclaves ayant quitté les plantations, reconstruit une société au cœur de la forêt, combattu les esclavagistes et les colons dès la fin du XVII° siècle.                                                                                                                                                                                        Essai critique d'histoire alternative, chant et poème, ce livre hybride nous offre une plongée passionnante, incarnée, dans l'histoire du marronnage.

 PRÉFACE

 

Dieu t’a créé, tu as crié…

Pourquoi ? Pourquoi as-tu crié ?

Tu as eu peur ? De quoi as-tu eu peur ?

Dieu t’a créé… Tu crois, ou tu ne crois pas ?

Et en quoi ou en qui ?

Quel est ce défi à relever que tu ne peux contrôler ?

 

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Michel Alimeck est venu au monde à Cayenne, dans une chronologie de partage de connaissances et surtout de croyances. L’installation à cette époque en Guyane de nouvelles religions, le plus souvent importées par les Blancs risque d’imposer un amas confus de différenciations des deux principales manières d’appréhender le sacré : d’une part la religion, d’autre part la magie, voire son dépassement extrême, la sorcellerie. La religion se manifestant par un rituel organisé et public tandis que la magie et à plus forte raison la sorcellerie se célèbreront plutôt dans le secret ou au moins dans la confidentialité. Religion ou magie, en tout cas la publication de ce livre est un acte de croyance. En quoi ? il n’existe parfois pas d’autre choix que d’affirmer son identité par ce que l’on n’est pas. Est-ce là le choix de Michel Alimeck ? Il se dit Saramacca[1] et, comme tous les Saramaccas, il est né « sachant ». Il n’est pas besoin de s’interroger longtemps pour comprendre que là se trouve le défi : être véritablement saramacca. C’est-à-dire que, né sachant, il importe de réaliser ce que l’on sait. Là se trouve la condition unique mais indispensable pour devenir ce que l’on est, potentiellement. Alors… faut-il crier ? Il faut bien reconnaître que l’enjeu identitaire est fort et possiblement anxiogène. Tu as crié… faut-il pleurer ou bien rire ? Né « sachant », qu’est-ce qui pourrait justifier un tel choix ? Sauf à se laisser assimiler dans une société incorporante et amalgamante, il n’existe d’autre option que la résistance. La lutte ? le combat ? Non pas. Un Saramacca n’a rien à prouver de ce côté-là. Il a fait ses preuves pendant les loweten. De plus, un Nenge, dès son plus jeune âge, sera présenté à des savoirs et aux adultes, les gran sama qui sont en mesure de les lui transmettre. Dès lors, même l’enfant a la capacité de construire de la connaissance avec le savoir qu’il possède déjà et d’autres savoirs qu’il ira chercher chez d’autres « sachants ».

Michel Alimeck publie Dieu t’a créé, tu as crié en 1980. C’est encore l’époque où la France, en fin d’ère giscardienne, tente encore d’accoucher dans la douleur de la décolonisation des derniers confettis de la République. 1975 avait été l’année de l’indépendance du Suriname, celle aussi du plan Stirn dit « Plan vert » qui avait vu l’installation en Guyane de nombreux Métros[2] ainsi que de colons hollandais quittant le Suriname. Puis le mitterrandisme avait décidé de promouvoir les radios libres, c’était également le temps des fusées qui décollaient plus régulièrement et à l’heure… Michel Alimeck aurait-il écrit le même livre après 1981 ? Ce qu’il écrit de l’insolence des acteurs surinamais de la Culture et de la politique nous amène à questionner.

Lui-même se questionne. « Qui est le Nègre ? », publié quatre année avant Dieu t’a créé, tu as crié est la question qui apparaît en filigrane tout au long de cet ouvrage et que d’ailleurs il formule clairement vers la fin de son livre, dans le chapitre intitulé Les Hommes politiques du XXè siècle. Ce n’est sans doute pas trahir sa pensée que d’orienter d’emblée quelque peu le sens de sa question vers « Quel Nègre suis-je ? » par contraste avec « au milieu de qui est-ce que je vis » ? Car le Nègre qu’il est, celui qu’il sait être, n’a rien de commun avec les Guyanais qui l’entourent, qui semblent, selon lui, n’avoir rien en commun avec les combattants du temps des luttes contre l’esclavage. L’on sent bien le détachement (non le mépris !) qu’il ressent envers un certain nombre de figures qui vont le plus souvent utiliser les ors de la République pour s’en revêtir, fut-ce au préjudice du reste de la population cayennaise. Mais un tel détachement n’est-il pas constitutif de sa construction identitaire ?

L’identité n’est pas faite que de ressemblances mais aussi de différences, y compris au regard des cercles les plus étroits dans lesquels se trouve inclus l’individu : la famille, le cercle d’amis, le groupe d’appartenance, etc. La construction de l’identité individuelle est une praxis. Elle n’est donc pas une affaire individuelle. Elle a à voir avec le social, lui-même toujours en mouvement. On le voit, l’identité va et revient, se fait et se défait, emprunte et renie, se construit et se déconstruit. Si distinction il y a, elle est visible uniquement sur fond de communauté. C’est sans doute là que se trouve l’identité saramacca de Michel Alimeck, au cœur de ce nœud et dans le droit-fil de la pensée senghorienne avec l’idée d’une opposition anticoloniale et de la construction d’un nouvel humanisme. Il a tenté de publier son livre avec de petits moyens et sans soutien. A-t-il souffert de cette étique confidentialité ? Nul ne saurait l’affirmer. Mais l’urgence à présent est de diffuser cette idée selon laquelle notre rêve d’avenir commun se situe dans l’avènement d’un humanisme non exclusif et non tribal.

Loin d’être dans une revendication « réparationniste », Michel Alimeck choisit finalement, avec ce qu’il nous dit de la société guyanaise, de rire plutôt que pleurer. De railler plutôt que récriminer. Suivons-le sur ce layon.

 Olson Kwadjani

Conteur, auteur, chercheur

 

 

[1] Divers choix d’orthographe du terme Saramacca existent, de Saramaka à Saamaka… Gardons ici l’option choisie par l’auteur.

[2] Appellation donnée aux arrivants de France hexagonale.

Première édition : par l’auteur, 1980 (épuisé)

Réédition : ROT BO KRIK, 2022. 217 pages

(11 € Hexagone, 12,65 € Guyane)

 
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16/01/2024
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