PEUPLES AUTOCHTONES : L'ÉDUCATION, UNE QUESTION DE DROIT, SEULEMENT ?
02/11/2014
Source : guide sur la convention n° 169 de l'OIT
Un constat terrible, mais c'est enfoncer une porte ouverte : l’accès à l’éducation n’est pas équitable.
On a observé depuis bien longtemps que les peuples autochtones appartiennent aux classes sociales les plus pauvres, les plus exclues et les plus défavorisées au monde. L’un des facteurs qui handicapent le plus les peuples autochtones est qu’ils ne reçoivent pas une éducation de qualité. Des millions d’enfants autochtones dans le monde sont privés de leur droit à l’éducation.
Au Guatemala, les peuples autochtones sont scolarisés de moitié moins longtemps que les personnes non autochtones. En moyenne, au Mexique, les membres adultes des peuples autochtones ont passé trois ans à l’école, contre six pour les personnes non autochtones. Au Pérou, cette moyenne est de six ans de scolarisation pour les adultes autochtones et de neuf ans pour les personnes non autochtones.
De plus, les enseignants des écoles autochtones ont souvent moins d’expérience et d’instruction et le principe d’éducation bilingue est mis en œuvre de manière inappropriée. L’un des facteurs qui handicapent le plus les peuples autochtones d’Amérique latine est qu’ils ne reçoivent pas une éducation de qualité. Parmi tous ces facteurs, il faut prendre en compte aussi la disparition savamment orchestrée par le passé des langues autochtones par les états dominants et l'impact du travail des enfants.
Aspects individuels et collectifs du droit à l’éducation
Outre le besoin et le droit des individus à l’éducation, les peuples autochtones ont des droits et des besoins collectifs, fondés sur leur souhait de transmettre aux générations futures une histoire, une culture, des valeurs, une langue, un savoir, des stratégies de subsistance et des modes d’apprentissage qui leur sont propres.
CONVENTION N° 169 de l’OIT
Article 26
Des mesures doivent être prises pour assurer aux membres des peuples intéressés la possibilité d’acquérir une éducation à tous les niveaux au moins sur un pied d’égalité avec le reste de la communauté nationale.
Article 27
1. Les programmes et les services d’éducation pour les peuples intéressés doivent être développés et mis en œuvre en coopération avec ceux-ci pour répondre à leurs besoins particuliers et doivent couvrir leur histoire, leurs connaissances et leurs techniques, leurs systèmes de valeurs et leurs autres aspirations sociales, économiques et culturelles.
2. L’autorité compétente doit faire en sorte que la formation des membres des peuples intéressés et leur participation à la formulation et à l’exécution des programmes d’éducation soient assurées afin que la responsabilité de la conduite desdits programmes puisse être progressivement transférée à ces peuples s’il y a lieu.
3. De plus, les gouvernements doivent reconnaître le droit de ces peuples de créer leurs propres institutions et moyens d’éducation, à condition que ces institutions répondent aux normes minimales établies par l’autorité compétente en consultation avec ces peuples. Des ressources appropriées doivent être fournies à cette fin.
Les articles 26 et 27 (voir supra) s’inspirent de l’objectif principal de la convention n° 169, qui est de promouvoir et de protéger le droit des peuples autochtones à préserver et à développer leurs cultures, leurs modes de vie, leurs traditions et coutumes et de continuer à exister au sein de la société de leur pays sans avoir à renier leur identité, leur culture, leurs structures et leurs traditions. L’article 27 affirme les principes fondamentaux suivants :
Les programmes éducatifs destinés aux peuples autochtones doivent être élaborés et mis en oeuvre avec leur collaboration, afin de répondre à leurs besoins spécifiques.
Cela sous-entend que les peuples autochtones ont le droit de prendre véritablement part à l’élaboration et à la mise en place de ces programmes éducatifs, afin de s’assurer qu‘ils répondent bien à leurs besoins spécifiques et que leurs valeurs, leur culture, leurs savoirs et leurs langues sont bien intégrés aux programmes. Cette disposition insiste également sur le fait que les programmes éducatifs doivent faire écho aux aspirations sociales, économiques et culturelles des peuples autochtones. Cela revient à reconnaître que l’éducation est un moyen important pour les sociétés autochtones de se développer conformément à leurs propres priorités et aspirations.
La gestion des programmes éducatifs doit être confiée progressivement aux peuples autochtones.
En outre, le paragraphe 3 de l’article 27 reconnaît que les peuples autochtones ont le droit de créer leurs propres établissements scolaires et moyens d’éducation et affirme que les États doivent leur fournir des ressources adéquates à cette fin. Néanmoins, ces établissements doivent respecter les normes minimales d’éducation du pays. Concrètement, ces deux dispositions reconnaissent que les peuples autochtones ont le droit à un certain degré d’autonomie en matière d’éducation, dans la mise en œuvre des programmes et moyens éducatifs généraux et par le biais de la création de leurs propres institutions éducatives.
Qualité de l’éducation proposée aux peuples autochtones
L’éducation peut apporter une solution aux deux principales préoccupations des peuples autochtones: le respect de leur culture et la diversité linguistique.
CONVENTION N° 169 de l’OIT :
Article 28
1. Lorsque cela est réalisable, un enseignement doit être donné aux enfants des peuples intéressés pour leur apprendre à lire et à écrire dans leur propre langue indigène ou dans la langue qui est la plus communément utilisée par le groupe auquel ils appartiennent. Lorsque cela n’est pas réalisable, les autorités compétentes doivent entreprendre des consultations avec ces peuples en vue de l’adoption de mesures permettant d’atteindre cet objectif.
2. Des mesures adéquates doivent être prises pour assurer que ces peuples aient la possibilité d’atteindre la maîtrise de la langue nationale ou de l’une des langues officielles du pays.
3. Des dispositions doivent être prises pour sauvegarder les langues indigènes des peuples intéressés et en promouvoir le développement et la pratique.
Article 29
L’éducation doit viser à donner aux enfants des peuples intéressés des connaissances générales et des aptitudes qui les aident à participer pleinement et sur un pied d’égalité à la vie de leur propre communauté ainsi qu’à celle de la communauté nationale.
C’est principalement grâce aux peuples autochtones que la diversité culturelle et linguistique dans le monde est vivace. Cette diversité culturelle et linguistique est une richesse, composée de structures uniques et complexes de savoirs, de compétences et de pratiques, préservées et développées au fil d’une longue histoire au contact de la nature et d’autres peuples, transmises de génération en génération. Les liens entre la langue, la culture et l’environnement impliquent que la diversité biologique, la diversité culturelle et la diversité linguistique sont des manifestations distinctes, mais étroitement liées, de la diversité de la vie. Les cultures autochtones ont, donc, un rôle essentiel à jouer dans l’instauration d’un processus de développement durable.
De plus, pour mettre fin à la discrimination et à la mise à l’écart dont ils sont victimes, les peuples autochtones doivent acquérir les connaissances nécessaires afin de prendre pleinement part à la vie sociale de leur pays, sur un même pied d’égalité que les autres. Cela passe notamment par la connaissance de leurs droits et la maîtrise de la langue officielle du pays.
Face à cette situation, la convention N° 169 comporte plusieurs articles (voir supra) qui ont spécifiquement trait au contenu et à la qualité de l’éducation des peuples autochtones :
Incorporation du savoir, de l’histoire, des valeurs et des aspirations des peuples autochtones dans le cursus.
L’élaboration de curriculums variés, culturellement adaptés et pertinents pour le public local, qui permettent d’acquérir des qualifications adaptées et qui tiennent compte des besoins des garçons et des filles est indispensable pour garantir le respect des cultures autochtones et la sauvegarde, la transmission et l’approfondissement des connaissances des autochtones. Dans certains pays où les peuples autochtones sont minoritaires par rapport à l’ensemble de la population, l’éducation des autochtones n’est qu’un détail au sein du système éducatif en général, alors que dans d’autres pays, elle est au cœur des préoccupations de l’éducation nationale. Dans certains pays, les peuples autochtones élaborent eux-mêmes des cursus adaptés à leurs besoins afin de combattre leur isolement, tandis que dans d’autres pays, ils font partie des mesures et des stratégies de l’éducation nationale. Ce processus requiert certaines aptitudes techniques, acquises par le biais de l’élaboration de mesures et de stratégies de formation, de recrutement et d’affectation d’enseignants autochtones. Cela passe notamment par la garantie de l’accès des étudiants indigènes à l’éducation secondaire et à l’enseignement supérieur. Dans certains pays, l’attribution de bourses ou d’autres mesures spéciales, peuvent s’avérer nécessaires pour promouvoir l’accès des étudiants autochtones, en particulier des filles, à l’éducation. En outre, les écoles sont souvent conçues conformément aux normes et aux préférences de la culture dominante, sans tenir compte des valeurs et pratiques des peuples autochtones. Les programmes de développement des infrastructures éducatives devraient adapter la conception des écoles aux différents contextes culturels.
Accès à des connaissances et des compétences générales.
L’éducation interculturelle est basée sur un processus d’apprentissage mutuel dans les écoles, reflété par les curriculums, et qui prend en compte les difficultés posées par la diversité culturelle, faisant de l’éducation un moyen de promotion de la participation de tous les groupes au façonnement de la société. C’est pourquoi les peuples autochtones doivent impérativement avoir accès à une éducation qui leur permette d’acquérir les compétences et les connaissances nécessaires à même de leur permettre de prendre part à la vie sociale du pays et y apporter leur contribution. Cela est d’autant plus vrai qu’on observe un phénomène d’urbanisation et de mondialisation de l’économie, et que de plus en plus de personnes autochtones doivent rivaliser avec d’autres pour obtenir un emploi sur le marché du travail.
Éducation bilingue et alphabétisation en langue autochtone.
Paradoxalement, bien que le bilinguisme et le multilinguisme permettent d’empêcher la disparition de certaines langues, la plupart des grands groupes linguistiques ne les encouragent pas, car les personnes qui parlent l’une de ces langues prédominantes considèrent le monolinguisme comme la norme, l’état idéal du langage humain (UNESCO: Atlas des langues en péril dans le monde, 2001). De nombreux pays sont dotés de dispositions constitutionnelles et législatives concernant les droits linguistiques, mais celles-ci sont rarement mises en œuvre dans le cadre de l’éducation formelle. Le défi est donc d’offrir, conformément à ce que stipulent la convention N° 169, la Déclaration sur les droits des peuples autochtones et la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, une éducation bilingue aux enfants autochtones qui leur permette d’acquérir des compétences dans leur langue autochtone et dans la langue officielle du pays. Outre la nécessité générale de proposer une éducation bilingue, certains groupes de taille réduite et défavorisés sur le plan de l’instruction sont particulièrement susceptibles de voir leur langue disparaître et d’être mis à l’écart du système éducatif national. Ces groupes doivent être identifiés et faire l’objet de mesures spéciales. De plus, pour pouvoir offrir une éducation bilingue et contribuer à la sauvegarde des langues autochtones, les programmes éducatifs doivent, le cas échéant, élaborer des manuels d’alphabétisation, d’apprentissage de la grammaire et du vocabulaire et autres supports didactiques en langue autochtones.
Élimination des discriminations et des préjugés par le biais de l’éducation
CONVENTION N° 169 de l’OIT :
Article 30
1. Les gouvernements doivent prendre des mesures adaptées aux traditions et aux cultures des peuples intéressés, en vue de leur faire connaître leurs droits et obligations, notamment en ce qui concerne le travail, les possibilités économiques, les questions d’éducation et de santé, les services sociaux et les droits résultant de la présente convention.
2. À cette fin, on aura recours, si nécessaire, à des traductions écrites et à l’utilisation des moyens de communication de masse dans les langues desdits peuples.
Article 31
Des mesures à caractère éducatif doivent être prises dans tous les secteurs de la communauté nationale, et particulièrement dans ceux qui sont le plus directement en contact avec les peuples intéressés, afin d’éliminer les préjugés qu’ils pourraient nourrir à l’égard de ces peuples. À cette fin, des efforts doivent être faits pour assurer que les livres d’histoire et autres matériels pédagogiques fournissent une description équitable, exacte et documentée des sociétés et cultures des peuples intéressés.
La convention N° 169 ne traite pas uniquement de l’éducation telle qu’on l’entend au sens traditionnel. Elle prévoit également le recours à la communication et à la sensibilisation pour promouvoir l’autonomisation des peuples autochtones et mettre fin aux discriminations et aux préjugés à leur encontre. La sensibilisation et la formation sont des moyens essentiels de renforcement de la capacité des peuples autochtones à utiliser leurs institutions pour développer leurs sociétés et communautés tout en prenant part, activement, à la vie de la société dominante et en y apportant leur contribution. Ceci revêt d’autant plus d’importance que les institutions autochtones ont été affaiblies ou discréditées et ne sont pas en mesure de revendiquer et faire appliquer leurs droits.
D’un autre côté, la sensibilisation, la formation et l’éducation peuvent favoriser l’élimination des préjugés à l’encontre des cultures et des langues autochtones. Cela va dans le sens des revendications des peuples autochtones, qui souhaitent qu’une éducation interculturelle soit proposée à l’ensemble de la société au lieu d’être considérée comme une priorité pour les peuples autochtones uniquement. Enfin, l’éducation et la communication interculturelles peuvent servir à prévenir et minimiser les conflits dans les sociétés multiculturelles.
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