Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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L'OBIA, UN PATRIMOINE IMMATÉRIEL CONTEMPORAIN GUYANAIS

Huitième Biennale du Marronnage

Matoury, jeudi 26 septembre 2013

30/09/2013

Une praxis de la délivrance

Éléments de compréhension

Une conférence de Mama Bobi

 

L'Obia peut être compris, au-delà d'une croyance transculturelle, comme une science comportementale psycho-sociale contemporaine. C'est l'héritage de plusieurs siècles de pratiques émancipatrices, thérapeutiques et anticipatrices, porté à travers des cultes et des rites d'une Afro-Amérique interculturelle, décomplexée, inventive et réconciliée.

 

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Comme chacun le sait, les abolitions et l'émancipation historique tardive, - au Suriname par exemple - avaient depuis fort longtemps été précédées par des générations de Marronnages et d'auto-libération en lesquelles les Croyances Africaines transposées ont joué un rôle fondamental unique de « rédemption socio-cosmique » à l'échelle de plusieurs nations Marronnes tout-entières et de leurs milliers de descendants aujourd'hui. Un mot, en fait un concept, résume ces dynamiques psycho-sociales auto-émancipatrices et fortement magico-religieuses encore peu décrites en français. Un mot d'origine Fanti/Ashanti, une expression générique pour un système complexe de croyances et comportements codifiés qui, en continuum sur plusieurs siècles de pratiques, élabore sur les deux rives Atlantique un riche corpus de vie sociale et spirituelle : l'Obia.

Celui-ci est perçu ici comme système social en résistance perpétuelle contre l'oppression quelle qu'elle soit. Dogme et/ou écritures. Comme le Code Noir ou la Bible, entre autre. Une résistance créatrice et rendue à l'exercice, à l'expérimentation, au faire et au savoir-faire plus qu'au croire. Tout d'abord, la découverte de soi et de la liberté de conscience et ce, dès les premiers temps au 18ème siècle. Un système de croyances qui renforce la confiance en soi par l'assurance et la confirmation de la justesse de choix, et d'actes déterminants dans la vie quotidienne depuis le Marronnage.

 

Obia1C'est aussi un système de croyances et de pratiques lié à l'environnement, à la connaissance des pharmacopées locales par exemple. Un système lié à une vision d'un monde à désaliéner et à délivrer constamment de la peur, de la honte et du mal sous toutes ces formes. Il s'agit donc bien d'un patrimoine. Il s'agit donc bien d'un héritage et voici donc notre propos d'aujourd'hui : l'Obia comme patrimoine immatériel des Guyanes, largement partagé par des milliers de personnes.

 

Certains diraient certainement qu'il s'agit ici d'une éthique. Et de citer pour cela le très beau texte de Léopold Sedar Senghor, le catholique de l'Académie française dans « Négritude et civilisation de l'universel » : Le marronnage, écrit-il, n'est qu'amour de la Liberté en délivrant les autres avec soi ». Dont acte.

Il s'agit donc bien d'un héritage disponible, accessible directement par transmission familiale, clanique, culturelle, cultuelle. Par éducation, par initiation, mais surtout abordable simplement par la pratique. Un héritage de l'Universel. Et donc, évidemment pas réservé aux seuls descendants de ces Africains transportés, déportés, soumis ou révoltés mais à des milliers d'hommes et de femmes de toutes origines et de tous temps.

C'est-à-dire en fait un héritage accessible à tout un chacun qui est séduit et convaincu par une pratique quotidienne. Il s'agit bien d'une discipline expérimentale tout autant que d'une démarche spirituelle existentielle. L'Obia offre un système de croyances très largement partagé en Afro-Amérique. D'innombrables aspects selon les divers héritages géographiques modulent ces pratiques obiatiques. Des rites, des cultes parfois très anciens accueillent, dirigent, conduisent les adeptes en des expériences individuelles et/ou collectives. Confirmant, réaffirmant ces assurances psycho-spirituelles que construisent ces savoirs, savoir-faire et savoir-être qui composent de très complexes ensembles de pratiques et de croyances s'inscrivant en des espaces magico-religieux populaires très variés.

Tout cela est d'ailleurs bien connu, décrit et analysé par les anthropologues, sociologues et autres ethnologues. Peu de français, il est vrai, et ce n'est qu'en 1961 que Jean Hurault publie à Dakar son ouvrage sur les Africains de Guyane. De fait, il s'agit bien d'un héritage africain en Amérique avec ses symboles, ses mythes évidemment réinterprétés à travers les époques. Ces interprétations spirituelles répondant, comme toutes religions, aux nécessités de faire sens à toutes les situations ou événements de l'existence. Et l'Obia est une réponse à tous les questionnements brûlants comme la traite, l'esclavage, les luttes pour la liberté en de multiples circonstances en ont posé à l'Homme. L'Obia apporte la réponse, la compréhension et le soulagement depuis les cales des navires négriers, dans l'enfer des plantations, lors de la marche forcée au coeur des forêts et jusqu'à aujourd'hui dans la paix reconstruite.

Il s'agit donc de pratiques expérimentales, de techniques, d'une praxis.

 

Obia3Mais ici il faut être clair, lucide et sincère. Il s'agit de reconnaître en cet héritage la toute puissance de l'Esprit. Il s'agit d'admettre la toute puissance de la Pensée Magique et de l'Imaginaire, mais aussi d'admettre cet argument cardinal de la logique primitive : Efi a obia bun wi o si ini a koti. (C'est à son efficacité que l'on juge la chose). Comme l'avoue cette langue créole comprise par plus d'un million d'individus de par le monde, le mawinatongo : Na wan bilibi, c'est une croyance, une foi. Mais une foi, un remède sont jugés selon leur force. Ils sont appréciés en fonction de leur puissance sur la souffrance et le mal... Volonté et conscience.

Car ici l'adepte, le pratiquant ne sont pas seuls. Si l'efficacité de ces croyances, de ces rites ou de ces cultes est incontestable c'est parce que la pratique de l'Obia se vit comme une plongée profonde dans la réponse. Mais pour connaître cela, un préalable psychique incontournable s'impose. Une implication absolue de l'être qui engage tout le cosmos avec lui. Une connexion spirituelle, une relation concrète à l'invisible. Une relation, une connexion avec d'autres mondes. Avec l'au-delà, avec les Ancêtres, avec des Panthéons entiers venus d'Afrique, accommodés, recomposés avec le temps. Sauf peut-être justement ici sur le plateau des Guyanes où le Marronnage libertaire a favorisé une exceptionnelle cohabitation presque exclusivement Africaine. Une cohabitation impossible partout ailleurs, tels que le Komanti et le Papa. Ces réalités métaphysiques transatlantiques, puis continentales, avec ses aspects empruntés aux croyances autochtones, tels l'Ampuku, le Pumbu, le Winti et Aïssa... (Mais ceci est une autre histoire).

 

Un préalable psychique fondamental s'impose, car la base de ces croyances marronnes est une porte ouverte sur l'inconnu et sur l'éternité. Avec cette affirmation consubstantielle à la praxis Obiatique : « non les morts ne sont pas morts ! ». Car l'Obia expérimente que les morts ne font que nous précéder. Là où nous sommes, ils étaient. Là où ils sont, nous allons. L'Obia est atemporel. Il est. Il a été et il sera.

Entre les vivants et ceux que l'on dit morts, il s'agit d'établir et d'entretenir une indispensable connexion. C'est le fondement de cet animisme contemporain. Les morts, les Esprits des ancêtres et une multitude d'entités s'adressent à nous. Ils nous conseillent, ils nous parlent, nous sollicitent, nous incorporent parfois et aident ainsi à la compréhension confiante de ce qui est et de ce qui vient.

Il s'agit alors de connaissances transmissibles qui renforcent la foi et l'espérance en l'Humain. Tous ici en progression spirituelle. Cette connaissance obiatique ainsi exprime-t-elle les réalités métaphysiques des multiples héritages de l'Afro-Amérique. Du Vaudou, du Candomblé, de la Santéria, de la Macumba, de l'Ubanda, du Winti, du Kumanti et de mille autres cultes populaires qui tous résistent à l'uniformité et à la soumission au monothéisme. Car quels que soient les lieux, les terreiros, les temples, etc. partout il s'agit d'engager l'émancipation de l'Humain. Car l'Obia est le libérateur des carcans psycho-historiques, des dogmes et des prisons idéologiques revanchardes. L'Obia autorise la vraie réparation et l'évolution essentielle de l'âme humaine par des rites de réconciliation socio-cosmiques. L'Obia redonne du sens aux choses de la vie. Il permet de guérir des maux, des blessures psychiques et rétablir une vision saine de soi et des autres dans ce monde actuel, polymorphe, divers et compétitif, en ce qui concerne le croire du moins, plus que le faire.

Ainsi, la praxis Obiatique est-elle thérapeutique autant qu'émancipatrice. Et c'est d'ailleurs l'une des efficacités incontestables de ces prises en charge psycho-spirituelles, de celles qui favorisent l'auto-délivrance, l'individuation positive, mais aussi la possession trans-personnelle. La Transe et l'incorporation d'entités ésotériques ou d'ancêtres. Car la praxis obiatique bien encadrée domestique les « sacrés sauvages » comme le décrit ailleurs Roger Bastide dans « Rêve, transe et folie ». Elle provoque et procure le sens de tout en tout. Grâce à ces connexions élevées qui visitent et enseignent les adeptes en incarnant à leur tour toutes les réponses. Evidemment mal encadrées la transe et l'incorporation peuvent servir des obsessions diverses et ambitions propres à l'homme en tout temps. Les déviances et manipulations peuvent être légion. Légion comme l'adversité sans visage qui est de toutes les époques et de tous les imaginaires. C'est pourquoi il convient de Marronner sans cesse.

Mais pour cela encore, l'adhésion à un préalable métaphysique est incontournable. Car l'Obia engage l'être en pleine conscience de son état divin en un processus d'auto-émancipation, d'auto-délivrance et d'auto-guérison. Car l'adepte sait que la vigilance est avec l'observance des principes et préceptes de ses alliés de l'au-delà, la base du combat. Le combat sans fin de l'homme auto-libéré et guéri avec les autres contre le désordre et le chaos désignés. Vigilance contre la méchanceté sans raison, combat contre la jalousie, la rapacité, l'égoïsme, la cupidité. Combat contre ce qui est nommé ici sans détour : la sorcellerie. La volonté perverse d'en rajouter à l'injustice et au mal. Car ce que l'Obia nous propose aujourd'hui - comme naguère un devoir de révolte contre l'adversité absolue et la servitude - est bien une éthique spirituelle, une praxis atemporelle de la délivrance.

 

Image1.jpgPour cela, la médiumnité, la nécromancie, l'interrogation des morts, la transe et la possession sont des moyens. Le but ultime de ces combats quotidiens reste le même : libérer l'âme Humaine de ses propres entraves psycho-spirituelles en expérimentant par exemple la résilience qui doit conduire au pardon et triompher de la peur, de la honte ou du ressentiment. Car l'Obia délivre, et avec soi il délivre le monde et instruit collectivement mais aussi personnellement les vivants dans l'espérance de leur devenir, la connaissance de « l'après-soi ». C'est à dire du grand retour, de la réincarnation. Réincarnation partielle et plurielle d'ailleurs, ce qui augmente la portée universelle de cette croyance pleine d'espérance. Car voici la majeure croyance Marronne. L'esprit va et vient et au besoin revient. Il se réincorpore. Mais pour cela, - et c'est sur le plateau des Guyanes ce qui distingue entre autres l'héritage Obiatique des descendants des sociétés issues du Marronnage, les Businenge donc, qui pratiquent, ont pratiqué et pratiqueront l'interrogatoire des morts -, le passage par un tribunal métaphysique est obligatoire. Un tribunal des vivants face à la mort. Un interrogatoire proprement socio-cosmique du défunt où l'importance est de savoir si la conscience du seul vrai combat à conduire dans la vie a été respectée. C'est-à-dire un comportement anti-sorcier. Un tribunal des vivants au moment des funérailles et qui autorise ou pas le passage à l'ancestralité. Et au retour. Au retour du meilleur de l'expérience vécue, un don, une trace de soi : le nenseki des Businenge.

 

Sans doute est-ce là de tous les rituels en Afro-Amérique celui qui est le plus explicite et ce n'est pas un hasard si on veut y voir encore et toujours la marque éternelle du marronnage. Pourquoi le Marron interroge-t-il ses morts ? Il s'agit de s'assurer que le défunt est resté du bon côté de la vie. Une vie où l'intelligence, la raison et le cœur peuvent-être empoisonnés par des passions nuisibles à l'homme en société. Et c'est là le fondement même de toutes les croyances Marronnes et le pourquoi de l'Obia. Le pourquoi de vouloir croire en un monde qui progresse avec l'assurance de l'appui des Esprits, des Entités, et des Ancêtres intimisés. Certes ce monde est dangereux et on en meurt. Croire, oui certes. Croire et pardonner et aimer. Connaissez-vous cette belle devise du Capitaine Apatou, un grand Obiaman, que le destin à conduit en son temps en Europe, où il aurait rencontré Jules Grévy, Jules Ferry et Felix Faure : Mati na pasiensi nanga pardun. (L'amitié est faite de patience et de pardon).Lamoraille

 

 

Les croyances marronnes sont des conjugaisons à mille voix. Elles sont des leçons reçues au jour le jour de ceux qui nous ont précédés sur les chemins de la liberté de jouir et d'espérer. Et ici, devant tant de descendants de Loweman pikin, quel héritage immatériel vouloir revendiquer ici avec eux ? Plus haut et plus fort que celui-ci et en partage avec toute l'humanité ? Une démarche universelle, spirituelle, contemporaine et réconciliée avec l'Histoire.

 

Alors à tous, bon voyage !  A kaba bun bolon !

 

Papa Gé, août 2013

 

Antoine Aouegui dit Lamoraille,

co-fondateur de Mama Bobi

Chevalier des Arts et des Lettres

Bibliographie

Roger Bastide : « Amériques Noires ». « Rêve, transe et folie ». « Sacré sauvage ».

Pierre Verger : « Flux et reflux de la traite des nègres ? »

Jean Hurault : « Africains de Guyane ». « Boni Noirs réfugiés de Guyane ».

J.Y. Parris : Interroger les morts.

R. Price : Voyage avec Tooy

Emilie Tocney-Dardé : Obia

 



12/07/2016
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