L'OR : UNE HONTE POUR LA GUYANE (2)
En Guyane, l'or peut avoir plusieurs origines différentes :
L'or primaire provient directement de la roche-mère. Il est alors concentré dans des filons de quartz aurifère qu'il faut extraire en creusant le sol avec des moyens industriel très lourds (galeries ou plus souvent mine à ciel ouvert). Le minerai doit être concassé pour en extraire l'or au moyen de produits chimiques.
Cette technique peu discrète est donc principalement utilisée en Guyane par des entreprises d'orpaillage « légales ».
La purification de l'or nécessitant dans ce cas l'utilisation de grandes quantités de cyanure (toxique, très soluble dans l'eau et mal absorbé dans les sols et sédiments, et donc très bio-disponible), c'est un type d'exploitation qui présente un risque important de pollution environnementale, notamment en saison des pluies en raison des risques de rupture de digue et d'ennoiement de sites pollués. Les grandes exploitations de ce types doivent souvent stocker dans des bassins plusieurs centaines de milliers de mètres cubes, qui pollueront gravement l'environnement en cas de rupture. Un des derniers grands accidents de ce type a libéré, le 30 janvier 2000, 378 500 m3 d?effluents cyanurés dans le Danube, à une concentration de 5 mg/l (100 fois supérieure à la limite admise), tuant des centaines de tonnes de poisson et toute la faune du fleuve sur 600 km environ.
Une fois la présence d'or confirmée, les orpailleurs détournent le cours des criques (rivières) pour libérer les vallées alluviales. Les alluvions sont liquéfiés par un jet d'eau à haute pression au moyen de lances « Monitor ». La boue formée est ensuite aspirée par des pompes et répandue sur des systèmes de tapis inclinés recouverts de moquettes. L'or, plus lourd, se dépose alors et se trouve piégé dans les fibres, tandis que la boue est mise à décanter dans de grandes fosses : les baranques. On utilisait à l'origine des tapis de paille pour cette opération, ce qui est à l'origine du terme orpaillage. Cette technique est utilisée aussi bien artisanalement (barges d'orpaillage par exemple) qu'industriellement (tables vibrantes).
On utilise le mercure pour amalgamer l'or (l'or particulaire se dissout et s?amalgame dans le mercure, métal liquide et volatil). Il ne reste plus qu'à chauffer l'amalgame pour que le mercure s'évapore et que ne reste plus que l'or. Un simple alambic permettrait de récupérer une grande partie du mercure par condensation, pour le réutiliser, mais sur de nombreux sites, en particulier dans le cas de l'orpaillage illégal, l'opération se fait au chalumeau et à l'air libre. Les vapeurs de mercure sont alors inhalées par les orpailleurs et libérées dans l'environnement proche.
De plus, pour des raisons géologiques, le sol guyanais est naturellement riche en mercure (huit fois plus en moyenne qu'en France métropolitaine). Le mercure libéré par le traitement du sol aux lances à eau, très volatil en climat équatorial et tropical, est également source de pollution de l'air, des brumes, des pluies et de l'eau et des sédiments. Ce mercure « naturel », libéré par l?homme s'ajoute aux importantes quantités évaporées par les orpailleurs. Jusqu'à 80% du mercure inspiré passe dans les poumons et le sang, intoxicant les orpailleurs eux-mêmes.
Enfin, ces techniques génèrent une forte turbidité de l?eau et une re-sédimentation qui favorise la production par les bactéries de méthyl-mercure, beaucoup plus toxique encore que le mercure pur. Ce méthyl-mercure est de plus très bio-assimilable, et il se concentre dans les muscles et non préférentiellement dans le foie ou les reins comme le mercure pur.
Les eaux rendues turbides par les rejets et bloquées par les embâcles naturels, criques ou en barrage de Petit-Saut constituent des « réacteurs chimiques et biochimiques » favorisant la réduction d'une faible partie du HgII en Hg0 volatil (processus photochimiques, chimiques et bactériens) et surtout à la production de méthyl-mercure MMHg dans la couche anoxique de la colonne d'eau (absence quasi-totale d'oxygène au-delà de 5 m de profondeur et jusqu'à 35 m dans le barrage). Dans ces zones, les bactéries sulfato-réductrices méthylent le mercure et le rendent plus toxique et très bio-disponible. Ainsi, le CNRS a montré qu'en profondeur, et en aval du barrage, le mercure est présent sous sa forme méthylée la plus dangereuse à des taux d'environ 25% du mercure total (0,3 à 0,5 ng/l), soit 25 fois plus qu'en amont de la retenue où le MMHg dépasse rarement 1% du mercure total. Ce mercure est emporté par le fleuve Sinnamary jusqu'à l'océan Atlantique.
Liées au cyanure
Le cyanure est un poison puissant, toxique à très faible dose à la fois pour les cellules animales et végétales, en bloquant le processus de respiration. Étant très soluble dans l'eau il peut en climat humide être rapidement emporté sur de grandes distances.
Une autre conséquence de l'exploitation de l'or alluvionnaire est la déforestation qui résulte du remaniement des sols. Ces exploitations étant souvent situées dans les lits mineurs ou majeurs des cours d?eau, qui sont aussi des corridors biologiques naturels, elles contribuent à la fragmentation écologique des écosystèmes. Les sols tropicaux sont toujours fragiles. Sur les sites orpaillés ils sont totalement détruits : la couche fertile superficielle contenant la matière organique est décapée, et lessivée vers les fleuves ou recouverte de « stériles » (déchets miniers). La loi impose normalement en fin de l'exploitation un revégétalisation, mais les contrôles sont rares et cette opération est absente sur les sites illégaux et souvent négligée sur les sites légaux.
Liées à la pollution aquatique
La décantation dans les baranques n'est pas systématique et la boue est souvent rejetée directement dans les criques, entraînant de graves perturbations des écosystèmes aquatiques. Par ailleurs, la mise en suspension des argiles libère aussi du mercure naturellement présent en grande quantité dans les sols guyanais, et qui était auparavant non bio-disponible. Enfin, la suppression de la couche forestière détruit aussi la protection naturelle des sols fragiles de Guyane. L'érosion par les intenses pluies tropicales est fortement renforcée sur les sites miniers.
L'exploitation aurifère génère en outre de nombreux impacts indirects :
- dérangement de la faune ;
- perturbation du cycle de l'eau et destruction des écosystèmes aquatiques ;
- abandon de déchets et matériaux lorsqu'un chantier n'est plus rentable.
- Déforestation en vue de la création de pistes d'atterrissage ;
- rejets de déchets divers (dont mercure et cyanures) ;
- pollution par le plomb, source de saturnisme : pour des raisons pratiques, les clandestins dispersés dans la jungle consomment beaucoup de viande de bois chassée au moyens de balles ou grenaille de plomb, souvent par des chasseurs professionnels peu préoccupés par la toxicité des munitions qu'ils utilisent ou par le fait que certaines espèces soient rares, menacées ou protégées par la loi. Cette chasse peut se faire au détriment des ressources des Amérindiens, lorsque ceux-ci sont encore présents sur les sites ou à proximité (En France métropolitaine, le plomb est au moins interdit dans les zones humides) ;
- abandon de déchets et matériaux lorsqu'un chantier n'est plus rentable.
Harpie et l'or introuvable
Personne ne se risquera à se prononcer défavorablement sur Harpie publiquement. Pourtant, les résultats obtenus en matière de lutte contre l'orpaillage clandestin sont loin de faire l'unanimité chez les militaires et les fonctionnaires. L'un d'eux se demande quel objectif on poursuit réellement. « Si c'est la saisie d'or pur, on a perdu. Si c'est éradiquer le problème, on a perdu. Si c'est rendre la vie des orpailleurs illégaux plus difficile, on a réussi. Si c'est de se dire qu'il faudrait prendre le problème autrement, on n'est pas loin de le penser. »
Le directeur du Parc amazonien de Guyane, Frédéric Mortier, explique qu'on est dans une phase de stagnation. « Dans les années 2000, on a eu une progression exponentielle des chantiers. Puis une stabilisation en 2009 et une diminution l'an dernier. Nous sommes actuellement à un palier [...]. Il doit nous amener à réfléchir sur notre activité de lutte contre l'orpaillage ». Un aveu à mots couverts de la nécessité d'un changement de stratégie ? « Pour moi, la guerre n'est pas perdue mais elle doit nécessiter un engagement dans la durée sans faille, et une perpétuelle remise en question pour progresser ».
Ah, l'or? Alors ?
Pour en savoir plus :
Guyane française, l'or de la honte, par Axel MAY : enquête sur l'activité aurifère publiée fin septembre 2007
Consultez l'ouvrage sur le site de Calmann-Lévy
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