LE PROTOCOLE DE NAGOYA ENTRE EN VIGUEUR
14/10/2014
Source : LeMonde.fr
Le monde végétal apporte à l’industrie pharmaceutique la matière première à la fabrication d’une grande partie de ses médicaments. Derrière ce juteux marché se dessine pourtant un déséquilibre géographique : d’un côté, la biodiversité à la source des substances actives se concentre dans les pays du Sud ; de l’autre, les centres de recherches et laboratoires pharmaceutiques se situent plutôt dans ceux du Nord. Gardiens de la biodiversité contre gardiens des technologies : c’est du moins avec cette représentation du monde qu’a été adopté, en 2010, le protocole de Nagoya.
Cet accord international, qui encadre l’accès aux ressources naturelles et le partage de ses bénéfices, est entré en vigueur, dimanche 12 octobre, après avoir été ratifié par plus de cinquante États et par l’Union européenne – en l’absence notable des Etats-Unis.
La France attend pour l’entériner l’adoption de son projet de loi sur la biodiversité, qui doit poser les bases du dispositif national, après les débats parlementaires prévus cet automne.
Les plantes, à la source de l’industrie pharmaceutique, exemples
La morphine, principal remède contre la douleur, est extraite du pavot ; la quinine, utilisée comme antipaludique, provient des quinquinas ; l’aspirine, elle, trouve son origine dans le saule blanc ou la reine-des-prés.
Il y a d’un côté les plantes médicinales, qui forment déjà le fonds de toute la médecine traditionnelle, et de l’autre, les plantes toxiques, qui intéressent tout particulièrement la chimie. La digitale, par exemple, est un poison pour le cœur, mais isolée chimiquement et à très faible dose, sa substance active peut aussi le soigner : de cardiotoxique, elle devient alors cardiotonique. »
En 2006, près du quart des 508 milliards d’euros du marché pharmaceutique provenait en partie au moins de substances naturelles, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).Un protocole de Nagoya anticipé et lacunaire
Derrière toutes ces campagnes de bioprospection et ces efforts de recherche, les plantes miracles ont-elles engendré les retombées tant espérées dans leurs contrées d’origine ? A ce sujet, certains, comme le laboratoire Pierre Fabre ou l’ICSN, se targuent en tout cas d’avoir anticipé le protocole de Nagoya. Le premier a notamment contribué à la reconstruction de la faculté de pharmacie du Cambodge, du Laos et du Togo, d’après Bruno David, et « apporte un complément de revenu à quelque 3 000 familles grâce à la cueillette de la pervenche dans le sud de Madagascar ». Le second a passé des accords « au plus haut niveau » avec les organismes de recherche des pays fournisseurs, et troque des plantes contre des formations d’étudiants et des collaborations scientifiques. « Tout est prévu en cas de retombées de brevet », affirme Marc Litaudon.
Dans de rares cas, la bioprospection a même valu quelques retombées sonnantes et trébuchantes. L’exemple le plus marquant reste le contrat passé en 1991 entre le laboratoire Merck et l’Institut national de la biodiversité du Costa Rica : un million de dollars par an en échange de la fourniture de milliers d’échantillons biologiques, selon une publication de l’IRD. Ce qui lui a valu d’être accusé par des ONG de vendre à bas prix la biodiversité costaricaine - malgré l’absence de résultats pour Merck.
Au-delà de ces quelques exemples, force est de constater que les milliards espérés par les pays riches en biodiversité se font toujours attendre (ce qu'il faudrait démontrer, voir en fin d'article le grain de sel du Témoin). Le protocole de Nagoya changera-t-il la donne ? Pas certain, tant il se révèle, dans bien des cas, inadapté aux pratiques actuelles de l’industrie pharmaceutique. Ainsi, il ne s’applique pas aux molécules naturelles modifiées ou intégralement imitées par la chimie, qui constituent presque 40 % des nouvelles substances introduites sur le marché américain entre 1981 et 2006 – contre 4 % de médicaments contenant directement l’extrait ou la molécule naturelle, seuls concernés par le texte.
Parmi ces extraits de plantes, combien proviennent aussi de pays du Sud ? Beaucoup de laboratoires comptent désormais sur des collections végétales « à domicile » déjà bien étoffées par des décennies de collecte. Or le protocole de Nagoya ne prévoit pas d’application rétroactive pour les plantes récoltées avant son entrée en vigueur.
En outre, les connaissances des communautés utilisant ces plantes ne sont pas forcément adaptées aux besoins des laboratoires. Il n’est pas certain qu’elles présentent un net avantage par rapport aux nombreuses substances déjà sur le marché, surtout pour les pathologies qui suscitent le plus d’efforts de recherche, comme le cancer. Pas évident, non plus, que les préparations des guérisseurs soient facilement commercialisables : il s’agit souvent d’un mélange de plantes fraîches, ou de plantes dont plusieurs molécules agissent en convergence. Tout l’inverse de ce que cherche l’industrie pharmaceutique : une molécule unique, isolable et brevetable.
D’abord, les États-Unis, un des premiers pays émetteurs de CO2, n’étaient à Nagoya qu’en qualité d’« observateurs ». Les Américains n’ont en effet jamais ratifié la Convention sur la biodiversité lancée en 1992 (au sommet de Rio) et entrée en vigueur en 1993. L’accord de Nagoya ne s’applique donc pas aux États-Unis et à leurs entreprises.
Le protocole de Nagoya pèche aussi, à l’évidence, par son manque de cadre légalement contraignant. Avec le risque d’un décalage entre les pays, l’ONU n’étant pas dotée d’une police supranationale ; en clair, de « casques verts » capables d’enrayer la destruction de tel écosystème, de telle espèce… Vendredi, à Nagoya, on misait sur « la responsabilité des États ». En matière de lutte contre la biopiraterie, les pays devront eux-mêmes mettre en place leurs procédures de surveillance.
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