SANTÉ PUBLIQUE ET BIOPIRATERIE EN AMÉRIQUE DU SUD
12/04/2016
Comment des multinationales accaparent les savoirs
des indiens d’Amérique du sud
Source : http://www.bastamag.net/
Connaissez-vous la stévia ? Cette petite plante d’Amérique du sud a l’étonnante capacité de donner un goût sucré aux aliments, sans avoir les inconvénients du sucre, source d’hypertension, d’obésité ou de diabète.
Ses feuilles ont un pouvoir sucrant plus élevé que celui du saccharose. Réduites en poudre, elles constituent un édulcorant naturel. Son plus ? La stévia ne vous apportera aucune calorie. Et de petites quantités suffisent à donner une saveur sucrée aux aliments. Si la stévia est consommée depuis des siècles en Amérique du Sud (mais pas en Guyane), elle n’est autorisée en France que depuis septembre 2009. Elle apporte ainsi une solution alternative aux édulcorants chimiques tels que l’aspartame, contenu dans certaines boissons…
Cultivée depuis plusieurs siècles par le peuple guarani, qui vit des deux côtés de la frontière entre le Paraguay et le Brésil, la stévia connaît depuis quelques années un véritable succès mondial, la demande pour des produits naturels et sans sucre augmentant rapidement.
Pour autant, aujourd’hui, c'est la Chine qui fournit 85% de la production mondiale de cet édulcorant. Les paraguayens qui ont découvert cette plante possèdent désormais moins de 10% du marché. Un secteur attirant pour les cultivateurs chinois qui peuvent multiplier leur revenu par 8 en préférant la stévia au blé ou au maïs. Après la culture sous serre en Chine, la plante reste dans le pays pour subir un lourd processus industriel dont le but est d’extraire une infime partie de la feuille. À la fin du processus la poudre verte est devenue blanche… Il ne reste plus que la molécule qui donne à la stévia son goût sucré, tout le reste a été éliminé, et par conséquent ses autres vertus aussi. On est bien loin du produit traditionnel consommé par les Indiens.
On trouve désormais cet édulcorant, sous forme de « glycosides de stéviol », dans des centaines de produits alimentaires : céréales, thés, jus, laits aromatisés, yogourts. L’utilisation de la stévia a même permis à certaines boissons gazeuses de se racheter une « virginité diététique ».
Un édulcorant pas si naturel
Et, de fait... « L’origine végétale de la molécule purifiée est mise en avant comme plus « naturelle » que les édulcorants de synthèse. Or, les glycosides de stéviols sont purifiés à plus de 95%, ce qui en fait un produit aussi éloigné de la plante d’origine que le saccharose l’est de la betterave », souligne la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). On est par ailleurs assez loin de la culture paysanne, que laisse sous-entendre « l’origine naturelle » tant vantée de la stévia.
Le succès mondial de ce nouvel édulcorant entraîne une culture de type industrielle, pratiquée principalement en Chine. « Ni les Guaranis, détenteurs du savoir traditionnel lié au pouvoir sucrant de la stévia, ni le Paraguay ou le Brésil, pays d’origine de la plante, ne reçoivent la part juste et équitable des avantages résultant de la commercialisation des glycosides de stéviol » relève un rapport collectif d’organisations européennes de la société civile. « En revanche, une poignée d’entreprises multinationales spécialisées dans les matières premières agricoles, l’agroalimentaire et la biotechnologie utilisent les ressources génétiques et les connaissances traditionnelles associées pour réaliser des profits significatifs. »
Parmi les industries mises en cause : Cargill, un géant états-unien spécialisé dans la fourniture d’ingrédients alimentaires et dans le négoce de matières premières, DSM, un géant néerlandais de la chimie, Pepsi Co ou encore Coca-Cola. « Ces entreprises contrôlent le marché au moyen de brevets et parviennent à vendre les glycosides de stéviol comme l’édulcorant naturel du futur ». Parallèlement, l’utilisation traditionnelle des feuilles de stévia comme édulcorant est, elle, interdite dans la plupart des pays industrialisés.
Résultat ?
Les produits des grandes entreprises multinationales peuvent accéder au marché plus facilement que ceux issus de la petite paysannerie qui se basent sur l’utilisation traditionnelle des feuilles de stévia. Pour les ONG, il s’agit d’un cas patent de biopiraterie : « L’appropriation inique d’une ressource génétique et des connaissances traditionnelles qui y sont associées ». « Les producteurs et les utilisateurs de glycosides de stéviol doivent s’engager dans une négociation avec les Guaranis pour convenir de modalités conduisant au partage juste et équitable des avantages résultant de la commercialisation des glycosides de stéviol », demandent les ONG, qui souhaitent également que les gouvernements et les entreprises des pays consommateurs arrêtent les publicités qui mettent en avant « l’aspect naturel » des glycosides de stéviol et l’héritage des Guaranis.
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