Santé publique : LE BÉRI-BÉRI REVIENT EN GUYANE
22/12/2015
entre carence nutritionnelle chronique
et manque d'hygiène
Sources : France-Guyane
Bulletin Épidémiologique Hebdo. 2015 (11-12) : 181-9.
Mosnier E, Carvalho L, Mahamat A, Chappert JL, Ledrans M, Ville M, et al.
Épidémies multiples dans des camps d’orpaillage en forêt amazonienne
Plus de quarante personnes travaillant sur des sites d'orpaillage illégaux ont contracté le béribéri, maladie liée à une forte malnutrition, qui avait disparu de Guyane depuis la fermeture du bagne.
Le béribéri est une maladie qui résulte d'une forte malnutrition. Elle avait disparu de Guyane depuis la fermeture du bagne.
La première épidémie recensée sur le territoire date de 1881. Elle avait été détectée et signalée sur des placers de la crique Hermina. En 2013, plusieurs consultations successives effectuées au centre de santé de Maripasoula ont éveillé les soupçons des équipes médicales.
Pour l'heure, 45 cas ont été diagnostiqués et sont répertoriés dans une étude. Toutefois, il est précisé au sein du CIC que d'autres personnes ont été touchées. « Les chiffres sont très inquiétants », confie un médecin. D'autant plus alarmants que les patients souffrent non seulement du béribéri, donc de malnutrition, mais sont souvent atteints par d'autres maladies comme le paludisme ou la leishmaniose. Un cas de VIH et un autre de lèpre ont également été diagnostiqués.
Description des conditions de vie et des sources d’exposition potentielles à des agents pathogènes
Le nombre total de personnes sur place était estimé entre 300 et 1 000, réparties sur une centaine de campements, chacun composé de 8 à 15 personnes sur un site relativement étendu en pleine forêt tropicale. La vie de camp était organisée autour d’un carbet (abri) principal installé le long d’une crique (ruisseau) et faisant office de cuisine et de lieu de repas. Les ouvriers dormaient pour la plupart dans des hamacs installés autour de ce carbet dans la forêt. Les cas décrivaient également la présence d’un village avec restaurants et cabarets, situé à environ 5 kilomètres des campements et regroupant entre 100 et 3 000 personnes.
Les conditions de vie sur le camp ont révélé une forte promiscuité et une hygiène précaire. Il n’y avait pas de latrines, les personnes déféquaient en amont des campements. Les témoignages faisaient état de pluies provoquant des ruissellements depuis ces zones vers les campements et la crique.
L’eau utilisée pour la boisson ou la cuisine n’était pas systématiquement désinfectée avec des méthodes adaptées : parmi les 12 patients interrogés, 2 ajoutaient quelques gouttes de chlore avant utilisation et 3 la filtraient avec un linge. Les aliments consommés, principalement du riz, des haricots rouges et de la viande ou du poisson, étaient achetés par le chef de camp et préparés sur place.
Parmi les cas, 5 ont déclaré avoir été en contact avec des animaux (d’élevage, sauvages ou domestiques), dont 1 qui rapportait avoir été en contact avec un animal malade (chien) et 1 autre rapportant une morsure récente par chauve-souris.
Aucun foyer épidémique précis n’a été signalé, les cas étant survenus dans les différents campements, éloignés de quelques de centaines de mètres à plusieurs kilomètres.
Malheureusement, aucune mesure préventive spécifique n’a été mise en place à l’intention de ces populations depuis cette épidémie. Quelques mois après (entre septembre 2013 et juillet 2014), une épidémie de béribéri a touché cette même communauté d’orpailleurs illégaux, avec 42 cas rapportés dont un décès.
Cette épidémie était d’origine multifactorielle, associant des carences nutritionnelles à des co-infections multiples. Il n’avait pas été observé de cas groupés de béribéri depuis la fermeture du bagne en Guyane. La réémergence de cette pathologie illustre elle aussi la très grande précarité de cette population. À ce jour, les soignants du CDPS de Maripasoula reçoivent encore des cas tous les mois.
De même, le CDPS de Maripasoula fait face à de nombreux cas de paludisme chez les orpailleurs, qui représentent 68% (n=183/269) de l’ensemble des accès palustres du centre pour les années 2013 et 2014. L’incidence du paludisme en Guyane est fortement liée à l’activité d’orpaillage. La prévalence élevée des infections palustres et la grande proportion de porteurs asymptomatiques, associées à une automédication fréquente chez les orpailleurs, limite les stratégies de contrôle et favorise le risque d’émergence de résistance aux antipaludéens.
Une urgence à agir, mais comment ?
Les difficultés d’accès aux camps et le caractère illégal de l’activité d’orpaillage rendent difficile la mise en place de stratégies de prévention. D’un point de vue de santé publique, le vrai défi reste d’innover en termes de mesures préventives adaptées à ce type de situation. À cela s’ajoute une difficulté supplémentaire, celle de l’incompréhension, de la part des populations autochtones légales, de la nécessité collective de soigner cette population considérée comme illégitime en Guyane, ainsi que cela a été relayé par la presse locale lors de cette épidémie (Guère étonnant, avec des médias et des politiques qui flattent le populisme à longueur de manchettes NdTémoin).
La réalisation de missions sanitaires de prévention et de dépistage effectuées au-devant de ces populations mobiles, en forêt et sur leurs lieux d’activités, pourrait être une des solutions les plus efficaces. Celles-ci nécessitent des moyens logistiques importants couplés à l’information et l’acceptation des populations locales et des orpailleurs. Ce n’est qu’à ce prix, et avec la mobilisation de tous les partenaires, qu’un éventuel contrôle de ces épidémies multiples et du paludisme en Guyane pourrait être réalisé.
Mais peut-être pas de cette façon, alors...
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