Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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ENCLUME OU MARTEAU : QUI EST L'OTAGE ?

30/03/2023

 

 

 

Assimilation... transgression ou stratégie de contournement ?

 

 

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Il faut rappeler, même si c’est désormais une évidence, que sur le Plateau des Guyanes comme en tous lieux de servitude d’ailleurs, la masse des esclaves s’est trouvée contrainte d’adapter sa conduite et sa formation psychique à une organisation économique conçue pour l’aliéner et l’exploiter, voire l’animaliser ou la réifier, dans un contexte social accentuant chez les colons la crainte d’une révolte d’esclaves, encouragée par le déséquilibre numérique en faveur de ceux-ci.

Une extrême soumission était donc exigée par les propriétaires des plantations, tenue par un système de terreur.

  

Et c'est bien là d'une entreprise de dénaturation qu'il s'agit.

Quels esclaves étaient les Créoles ? Quels sont ceux qui le deviendront ? Deux « catégories » d’esclaves cohabitaient dans les plantations, et nous allons regarder quelles étaient leurs différences.

 

5d95db5b31f55_esclavage_bateau1-585969.jpgTout d’abord, les Bossales (ou Nègres d’eau salée), Africains nés libres mais capturés et soumis à des épreuves et des manipulations destinées à les accommoder à la servitude désormais imposée. Ceux-là subissaient des violences consécutives à leur capture, à la déportation et, pour tout dire crûment, au dressage. De plus, ils gardaient de manière douloureuse le souvenir de leur liberté passée, de leurs parents perdus ou tués, de leurs jeux d’enfants…

Ensuite, ceux que les colons espagnols ont nommés Criollos, nom francisé par la suite en Créoles, un terme appliqué également aux Blancs nés sur place. Ces esclaves étant nés sur la plantation, on pouvait les penser préservés (en partie tout au moins) du déchirement initial. On peut imaginer en extrapolant que leur condition pouvait leur sembler un état inné, donc ressenti comme plus ou moins naturel. La liberté, comme destin inconnu, serait effrayant.

 

On le voit, bien que voués au même sort, Créoles et Bossales pouvaient réagir très différemment à leur condition.

L’idée était d’amener l’esclave à lui-même considérer son infériorité et la vanité de changer sa condition comme des faits naturels établis. Mais dans le même temps, il lui fallait, pour au moins survivre psychiquement, nier sa réification et tenter de se dire Homme.

 

img-16.jpgIl faut y voir une dimension contradictoire qui ne pourra se résoudre, après l’abolition, que par la revendication d’intégration à une moyenne bourgeoisie autoproclamée « guyanaise ». Qui, en effet, n’a jamais entendu ce type de phrase : « dans l'Ouest, on croise des Businenge et des Amérindiens, mais également des Guyanais »…

  

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Dans l’esprit de beaucoup de ces Guyanais auto-proclamés, en effet, des populations diverses sont établies en Guyane : des Amér-indiens, des Businenge, des « Coolies », des Hmong et autres divers, parmi lesquels de nombreux immigrés venus de tout le continent, et... des « Guyanais », autrement dit des Créoles. 

images.jpegSur les barreaux de l’échelle sociale, cette moyenne bourgeoisie assimilée évoquée plus haut se plaça d’emblée au-dessous de la classe dirigeante coloniale mais au-dessus des communautés amérindienne et businenge, les Hmong jouissant quant à eux d’une relative autonomie décisionnelle interne et fonctionnelle, reposant sur leur rôle monopolistique de fournisseurs agricoles et maraîchers pour toute la Guyane ou presque. La part créole de la population serait donc constituée des descendants des esclaves sortis de la servitude au moment de la seconde abolition octroyée... généreusement... par les maîtres. Il s'en serait suivi, selon certaines hypothèses, une culture de la dépendance ainsi qu'un non-désir de transformer une liberté formelle encadrée en une vraie souveraineté. Sur un autre barreau de l'échelle sociale précitée, on va trouver d'autres descendants d'esclaves qui ne partagent pas tout à fait la même histoire : les descendants de Marrons.

 

Les Marrons se sont auto-libérés du joug du maître. Terreur et souffrance ne les ont pas arrêtés. La survie a un prix, les Businenge le savent. Un prix qui a ses ésotérismes, cachés derrière des règles qui se révèleront en expérimentation : tout d’abord la rigueur, la droiture, la complémentarité mais aussi la conjonction des contraires qui, dans la lutte, impose l’égalité. L’égalité entre les hommes, également entre les hommes et les femmes. Ces femmes qui, en marronnant, ont gagné leurs places incontournables dans la formation des sociétés nouvelles, matrilinéaires et matrifocales.

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Les Abolitions, comme l'émancipa-tion historique tardive, avaient pendant des générations été précédées par des marronnages, au Suriname surtout mais aussi en Guyane, suivis d'autolibérations pour lesquelles les croyances africaines transposées – emportées et transmises – ont joué un rôle fondamental, unique, à l'échelle de plusieurs nations marronnes tout entières et de leurs milliers de descendants aujourd'hui. Un concept résume ces dynamiques psycho-sociales auto-émancipatrices et fortement magico-religieuses : c’est l’obia. Celui-ci est perçu par tous les Marrons comme système social en résistance perpétuelle contre l'oppression quelle qu'elle soit, physique, spirituelle ou culturelle. 

 On trouvera dans l’ouvrage Peuples en marronnage[1] la longue histoire de la résistance des Marrons tout au long de l’Histoire, jusqu’à la fin de la guerre civile du Suriname en 1991. On y lira que, de part et d’autre du Maroni, toutes les menaces envers les Marrons n’ont pas disparu. Entre Suriname et France ultrapériphérique, où en sont ces peuples, entre assimilation ardue et adhésion à des États-nations ou des territoires qui n’ont toujours pas su gagner leur confiance ?

Depuis l’explosion du consumérisme en France avec l’arrivée de produits transformés ou manufacturés destinés en premier lieu aux ingénieurs du tout récent CSG dans les années 1960-68 et au Suriname après la guerre civile, la grande menace est là : accepter une forme d’assimilation en échange de ce que les aides d’état et les subventions peuvent permettre de s’offrir. Avec une nuance, cependant : contrairement à ce qu’il se produit en France, au Suriname, on mange ce que l’on produit : pas de RSA ou autres primes, seulement quelques aides aux familles nombreuses, sous certaines conditions.

Bien sûr, il convient de nuancer ce propos : le Suriname traverse actuellement l’une des crises économiques les plus impactantes de ces trente-cinq dernières années. 

Les fonctionnaires ne sont plus payés, la production est à l’arrêt, les rayons des magasins sont vides et l’on ne mange que les produits de son abattis, si l’on a prévu d’en cultiver un… 

 

[1] Peuples en marronnage, Contraintes économiques et démocratie, 1760-1990. Collectif Mamabobi et Joël Roy - L’Harmattan, Paris 2020.

   

images (1).jpegAlors, les pirogues traversent le fleuve en un flot incessant, entre Albina et Saint-Laurent, qui sembleraient devenues, comme nous l’écrivions il y a quelque temps, deux quartiers d’une même ville.

Qui pousse désormais les caddies au supermarché ? des groupes entiers de femmes surinamaises, venues en masse s’approvisionner en ce qu’elles ne trouvent plus trasey fu a liba, de l’autre côté du fleuve.

À ce propos, je ne peux résister au plaisir de vous conter une anecdote. Connaissez-vous la pratique du kowru a bere ?

 

téléchargement.jpegDans les rayons « boucherie » des supermarchés, on trouve des lots de viande réfrigérée ou congelée, par morceaux ou par tranches. Kowru a bere veut dire, littéralement, refroidir le ventre ou bien le ventre froid. C'est un nouveau sport qui consiste en l’habileté que la femme va développer pour glisser une barquette (plusieurs ?) de viande entre ses vêtements et sa peau sans attirer l’attention des vigiles. Cette pratique commence à se répandre à tel point qu’on se met à imaginer des antivols pour la viande, sur le principe de ce qui s’opère pour les vêtements !

 

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 Je discutais de cela avec l’un des jeunes agents de sécurité d’un supermarché que vous m’autoriserez à ne pas nommer ici, qui me racontait justement le modus operandi utilisé par ces « clientes ». Je posai alors la question suivante à Greg (appelons-le ainsi) :

« Mais c’est risqué ! il y en a beaucoup ?

- Oui, bien plus que tu peux imaginer.

- Quand tu en surprends une, tu fais quoi ? Tu la fouilles ?

- Seulement quand elles sont mignonnes, sinon elles sont trop nombreuses… »

 

Cette histoire du Kowru a bere m'a fait bien rire. En rirez-vous aussi ? Nul doute que nous assistons à l'émergence d'un nouveau sport transfrontalier… Une variante des gendarmes et des voleurs ? Tu gagnes ou tu as un gage...

  

OKwadjani

  

 

 Retrouvez bientôt la prochaine chronique d’Olson sur Un Témoin en Guyane


03/04/2023
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