MÉGA-MINE MONTAGNE D'OR : petit digest du projet russo-canadien, pour rappel
26/02/2018
Nouvelle parution : 06/09/2018
Sources : Collectif Or de question
Compagnie Montagne d'Or (CMO)
Le consortium russo-canadien Nordgold-Columbus Gold, représenté en Guyane par la Compagnie de la Montagne d’Or (CMO), souhaite exploiter une mine d’or à ciel ouvert d’une dimension encore inconnue dans la région. En février, la commission nationale du débat public doit préciser le calendrier et les modalités du débat qu’elle doit organiser en Guyane sur le sujet. Avant cela, nous vous proposons d'en apprendre un peu plus sur le projet minier de Montagne d’or.
La Montagne d’or se trouve dans le secteur de Paul Isnard à 120 kilomètres au sud de Saint-Laurent du Maroni. « Le site, qui fait l’objet d’une exploitation minière depuis 140 ans, est éloigné des lieux d’habitation et situé en dehors du périmètre de la Réserve biologique intégrale de Lucifer Dékou-Dékou » précise la Compagnie de la Montagne d’or sur son site internet. La compagnie minière prévoit de creuser la fosse de la mine entre les réserves biologiques intégrales de Lucifer et de Dékou Dékou, à quelques centaines de mètres de la limite de cette dernière.
Plan établi par la société minière Columbus Gold des concessions dans le secteur de Paul Isnard. En rouge : l’emplacement prévu pour la fosse de la mine de la Montagne d’or. En vert : les réserves biologiques intégrales avoisinantes.
L’argument selon lequel le site minier est éloigné de lieu d’habitation est également repris par le président de la collectivité territoriale de Guyane, Rodolphe Alexandre qui soutient le projet minier dans une interview donnée à Guyane 1ère : « il n’y a pas d’espace vie sur la Montagne d’or » déclarait-il dans l’émission Politik Guyane du 16 novembre 2017. La base-vie, construite à proximité de l’exploitation, devra tout de même accueillir 300 personnes, d’après la CMO.
« Mine moyenne » vs « méga-mine »
La mine à ciel ouvert mesurera 2,5 km de long sur 400 m de large et 400 m de profondeur à son point le plus profond. La CMO prévoit d’extraire de la roche 85 tonnes d’or primaire en 12 ans. Des sites miniers de cette taille et de cette nature sont encore inconnus en Guyane, où l’exploitation aurifère se cantonne à l’heure actuelle à des échelles artisanales et semi-industrielles et est principalement tournée vers l’or alluvionnaire. Pierre Paris, le président de la Compagnie Montagne d’or qualifiait toutefois le projet qu’il défend de « mine moyenne à petite pour l’industrie minière », dans une interview accordée à l’émission Invithé-Café de Guyane 1ère le 17 novembre 2017. A titre indicatif, en 2014, les vingt plus grosses mines d’or mondiales produisaient entre 17 et 60 tonnes de métal chacune par an, d’après un document établi par la compagnie minière Auplata.
Pourtant, la taille de l’exploitation inquiète. Dans le jugement rendu par le tribunal symbolique des droits de la nature qui s’est tenu à la COP23 à Bonn en novembre 2017, le sénateur argentin Fernando Solanas qualifie Montagne d’or de « méga projet minier » (voir Guyaweb du 24/11/2017 : Le tribunal des droits de la nature demande la suspension immédiate du projet de la Montagne d’or). Cette expression de « méga-mine » est régulièrement utilisée par les opposants à ce projet minier fédéré dans le collectif Or de question.
Tas de stériles
Pour David Riché, maire de Roura et président de l’association des maires de Guyane, interviewé par Guyane 1ère le 7 décembre 2017,« il faut arrêter d’en faire une montagne ». « La réserve de Kaw – Roura 94 000 hectares, la fosse [de la mine de Montagne d’or – ndlr] un hectare ; la réserve des Nouragues, 100 000 hectares, la fosse mille fois moins » énumérait-il pour relativiser la taille de l’exploitation aurifère. Le site minier ne sera pas uniquement constitué d’une fosse. S’y ajouteront une usine de traitement du minerai, des tas de stériles, un parc à résidus, des ateliers et entrepôts, ainsi que l’espace de vie des travailleurs. Sur son site, la CMO écrit que « les infrastructures minières occuperont une surface de 8 km² » (Si je ne me trompe pas dans mes conversions, cela fait tout de même 800 ha. On est loin du seul hectare indiqué par Monsieur Riché... NdTémoin). Le site « est volontairement compact pour limiter l’empreinte environnementale » ajoute la compagnie.
L’exploitation du site nécessitera de creuser une fosse d’où sera extrait le minerai. Après une première couche tendre composée de latérite et de saprolite retirées à la pelle mécanique, l’entreprise minière s’attaquera à la roche dure qui sera fragmentée avec des explosifs. Or de question estime que 20 tonnes d’explosifs seront utilisés par jour. Bulldozers et pelles hydrauliques chargeront des camions qui transporteront le minerai jusqu’à une usine de traitement jouxtant la fosse.
Capture d’écran d’une vidéo de communication de la CMO montrant le plan du futur site minier
« Le gisement de Montagne d’or est sous forme disséminée. L’or se trouve dans des sulfures, c’est-à-dire des minéraux composés de métaux et de soufre » explique un ingénieur minier membre de l’association Ingénieurs sans frontières – Systèmes extractifs (ISF-SystEx). Composée d’ingénieurs miniers qui alertent sur les pratiques de leur profession, cette organisation est membre du collectif Or de question.
« Lorsque l’on creuse, certaines zones sont des stériles au sens économique du terme, c’est-à-dire qu’ils ne contiennent pas suffisamment de minerais pour être valorisables. » Ces « stériles » seront stockés en tas à proximité de la fosse. Une note du Muséum national d’histoire naturelle du 16 janvier 2017 estime que 450 millions de tonnes de stériles seront ainsi produits et stockés sur le site. Or de question évoque un volume de 400 millions de m3. « Ce broyat contient des éléments chimiques qui sont naturellement associés aux filons d’or, à savoir des métaux lourds, potentiellement du cadmium, du plomb, de l’antimoine, de l’arsenic et du mercure naturel, sources de pollutions potentielles dans les réseaux hydrographiques » ajoutent les trois auteurs de la note du MNHN. « Dans un contexte sulfuré, il reste des sulfures dans les stériles, qui sont soumis aux ruissellements. L’eau pénètre à l’intérieur des dépôts de cailloux et cela peut engendrer des drainages d’acides miniers » explique le membre d’ISF-SystEx qui préfère garder l’anonymat. De plus, « les verses à stériles peuvent présenter des instabilités liées à des problèmes de conception si le terrain où les stériles sont stockés n’est pas stable » ajoute-t-il.
Processus de cyanuration
Les couches de roche présentant un intérêt pour la compagnie minière passeront, elles, par l’usine de traitement. Le minerai y sera broyé dans des concasseurs, réduit en poudre, puis traité par un procédé de cyanuration pour extraire environ 1,6 gramme d’or par tonne de minerai d’après les estimations de la CMO. L’usine à traitement du minerai, classée Seveso seuil haut, tournera en continu 24h/24 et 7 jours sur 7, peut-on lire sur le site de la CMO. L’usine utilisera, d’après les estimations de Or de question, 10 tonnes de cyanure par jour.
Le minerai broyé et traité au cyanure sera stocké à la sortie de l’usine dans le parc à résidus. « Des géomembranes imperméables et très résistantes empêcheront l’infiltration depuis les installations de stockage dans le sol ou la nappe phréatique » explique une vidéo de la CMO décrivant le futur site minier. Pour Pierre Paris, « le cyanure a cet avantage de se détruire très très rapidement à l’air. […] Le processus que nous allons utiliser est le processus de cyanuration en circuit fermé. C’est la technologie la plus performante actuellement utilisée. » La cyanuration est la technique permettant d’extraire le plus fort taux d’or : 95 % de l’or contenu dans la roche devrait ainsi être récupéré.
Capture d’écran d’une vidéo de la CMO montrant le plan de l’usine de traitement du minerai sur le futur site minier
Pour les membres du collectif Or de Question, « la cyanuration n’est pas adaptée. Ce sont les UV qui biodégradent le cyanure. Or en saison des pluies, les UV ne sont pas assez actifs. De plus, il faut prendre en compte la turbidité naturelle de l’eau en Guyane et les précipitations intenses et violentes en saison des pluies. » « Plus le parc à résidus est grand, plus la couche d’eau est épaisse et moins les UV pénètrent » explique le membre d’ISF-SystEx. « La dégradation du cyanure ne marche que partiellement » ajoute-t-il.
« Localement, on ne pourra pas répondre à une pollution. Est-ce que l’on a les experts pour cela ici ? » questionne Lætitia Copin, membre du collectif Or de question. Eléanore Johannès du collectif des Premières nations, membre de Or de question, partage cette inquiétude : « qui ira vérifier ce qu’il se passera sur le site ? » Dans une vidéo de communication, la CMO évoque « des inspections et des audits » menés régulièrement.
Ruptures de digues
Le collectif Or de question rappelle que 25 ruptures accidentelles de digues retenant des boues toxiques ont été dénombrées à travers le monde depuis l’an 2000. Ce fut notamment le cas au Brésil en 2015 sur le site de l’entreprise Samarco. « La grande majorité des ruptures de digues ont lieu lorsque la mine est en fonctionnement et que l’on n’arrive pas à contrôler l’arrivée d’eau » explique l’ingénieur d’ISF-SystEx. Les militants opposés à la Montagne d’or craignent qu’en cas de surpression des digues retenant les boues cyanurées, le choix soit fait d’ouvrir les vannes laissant ainsi partir dans la nature du cyanure non biodégradé, plutôt que d’interrompre momentanément la production.
Ces craintes s’appuient sur les difficultés déjà rencontrées en Guyane sur des sites où une exploitation de l’or primaire a déjà été menée à une échelle semi-industrielle, comme à Espérance, Dieu-Merci, Saint-Élie et Yaou. Un rapport du BRGM (Bureau des ressources géologiques et minières) de 2012 notait que « les parcs à résidus sont souvent sous dimensionnés pour retenir les matériaux boueux issus du processus et on note l’absence de planification dans la conception et l’élaboration de ces ouvrages tout au long du cycle de vie de la mine. Les risques permanents de submersion obligent les opérateurs miniers à des travaux réguliers de rehaussement des digues pas toujours bien maîtrisés ni réalisés dans les règles de l’art (compactage, drainage, évacuateur de crue) ».
BRGM Mines d’or Guyane 2012 by GUYAWEB
Pour Pierre Paris, président de la CMO, interrogé dans l’émission Invité café sur Guyane 1ère le 17 novembre 2017, « on n’envisage pas une minute d’avoir ce genre d’accident ici ». Pour lui, les options retenues par l’entreprise sont « des choix de sécurité » et « le choix de la meilleure technologie qui garantit la sécurité de l’ouvrage ». Sur son site, la Compagnie Montagne d’or insiste : « tous les efforts possibles sont mis en œuvre pour réduire au maximum les impacts à court et à long termes sur les milieux naturels et prévenir les risques technologiques. »
Toutefois en 2016, un membre de l’association Ingénieurs sans frontières nous confiait : « on ne peut pas faire de grosses mines en Guyane, avec les précipitations, on ne va pas arriver à gérer les déchets. Devant les difficultés techniques, l’opérateur va faire des choix et le seul arbitrage qui existe, c’est l’argent ». Dans un rapport intitulé « Montagne d’or, mirage économique ? », l’organisation internationale WWF pointe la fragilité de la rentabilité du projet et s’en inquiète : « si la rentabilité du projet se dégradait, il y a fort à parier que ses promoteurs feraient tout pour la rétablir, notamment en réduisant les dépenses, en premier lieu celles sur lesquelles ils ont des marges de manœuvre, à savoir le social et l’environnement » (voir Guyaweb du 27 septembre 2017 : Montagne d’or : la guerre des chiffres).
Étude d’impact environnemental
Sur son site, la CMO réitère ses engagements : « le projet se conforme rigoureusement et en toute transparence à toutes les normes environnementales françaises et européennes et utilise les meilleures pratiques actuelles dans le domaine de l’industrie minière. » Sans convaincre Patrick Lecante, maire de Montsinéry Tonnégrande, président du Comité de Bassin de Guyane et administrateur de l’Agence française pour la Biodiversité. « Comment s’assurer de la meilleure qualité environnementale de l’exploitation en laissant seul le consortium d’entreprises dans l’affirmation non contradictoire, sans qu’une contre-expertise environnementale exhaustive indépendante soit réalisée et ses résultats publiés ? » écrivait-il en juillet 2017 dans un courrier adressé au préfet de la Guyane.
Parmi les normes françaises, on compte celle de faire réaliser une étude d’impact environnemental. Sa publication ne cesse d’être reportée.
Rodolphe Alexandre reste confiant. Pour le président de la CTG, « l’exploitation de la montagne d’or sera l’occasion pour que les Guyanais puissent discuter, puissent débattre et dire véritablement si oui ou non ils veulent une mine qui soit respectueuse de l’environnement, une mine qui soit exemplaire de la protection de l’environnement, qui crée de l’emploi et qui donne de la plus-value ». Quant à Nicolas Hulot qui s’est dit défavorable au projet minier sur BFMTV, le ministre de la Transition écologique et solidaire pense « qu’il y a des impacts environnementaux pour un bénéfice économique et bénéfice d’emploi assez réduit. »
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