QUAND LA RÉPUBLIQUE A ÉCHOUÉ...
21/10/2023
Quel est donc ce personnage dont l'effigie circule sur les réseaux sociaux ? Il est habillé de vêtements multicolores et recouvert d'or ou bien d'ustensiles d'apparat qui semblent tels.
De plus, il ne vous aura pas échappé qu'il arbore une tête couronnée...
Oui, ce personnage, qui est-il ?
Toute la population du fleuve, d'un côté comme de l'autre, l’aura reconnu. Tous ceux, en tout cas, qui ont vécu la guerre civile il y a bientôt trente-cinq ans.
Cet homme… un petit effort… Cet homme désormais omniprésent sur les réseaux du Plateau des Guyanes, c’est, bien sûr, Ronnie Brunswijk, l’ancien chef des Jungle commandos et fer de lance de la rébellion contre la dictature de Dési Bouterse dans les années 1986 à 1991.
Ronnie Brunswijk, né le 7 mars 1961 à Moiwana (Marowijne) est donc désormais âgé de soixante-deux ans.
Au moment où Desi Bouterse mène son coup d'État le 25 février 1980, il est sergent dans l'armée régulière du Suriname et l'un de ses gardes du corps. N'ayant pas reçu l'avancement qu'il espérait, il entre en conflit avec sa hiérarchie. Il les accuse de racisme envers les nègres marrons (Aluku, Djuka, Saramaca...) et déserte l'armée pour la rébellion. Il fonde le Jungle Commando tandis que le Suriname plonge dans la guerre civile (1986-1992).
Il entre en contact avec les Pays-Bas où une partie de la classe politique a fui (le Suriname était une colonie néerlandaise jusqu'à l'indépendance du 25 novembre 1975). Il se tourne également vers « tous les gouvernements démocratiques », sollicitant le soutien de la France, des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la Belgique ou encore du Venezuela1.
À la suite de cette internationalisation de la situation, Ronnie Brunswijk a fait appel à plusieurs mercenaires et déserteurs dans ses rangs. Le Jungle Commando subit de gros revers (contre-offensive de 1986), et débutent alors les premières négociations.
Si cette situation contribue à un retour timide de la démocratie au Suriname (1988), l'économie du pays est affaiblie pour de nombreuses années. Ronnie Brunswijk est condamné par contumace par un tribunal de Haarlem à six années d'emprisonnement pour trafic de cocaïne. La justice française le condamne à dix ans de prison. Interpol délivre un mandat d'arrêt international à son encontre, mais le Suriname n'a jamais signé un seul accord d'extradition pour ses ressortissants.
Il est aujourd'hui un homme d'affaires en vue. Il exploite plusieurs mines d'or, y compris dans des réserves naturelles ! Les années passant, il a entamé une carrière politique lors de l'élection présidentielle de mai 1996 avec le parti général de la libération et du développement (ABOP : Algemene Bevrijdings-en-Ontwikkelingspartij). Depuis les élections de 2000, il siège à l'assemblée nationale comme député.
Comme beaucoup d'hommes d'affaire, Ronnie Brunswijk décide de s'offrir une équipe de football. Le 21 septembre 2021, à soixante ans passés, il va jusqu'à jouer lui-même comme attaquant et capitaine de l'équipe dont il est le propriétaire. Malheureusement pour lui, après le match, une vidéo circulera sur les réseaux, le montrant en train de distribuer des liasses de billets aux joueurs de l'équipe adverse !...
Fin de la carrière du footballeur-homme d'affaires-politicien.
À la suite des élections législatives de mai 2020, toujours à la tête de l’ABOP, Ronnie Brunswijk est élu président de l'Assemblée nationale le 29 juin. Quelques jours plus tard, le 13 juillet 2020, il est élu sous les acclamations des députés vice-président de la République, étant seul candidat et l'opposition ayant refusé de participer à l'élection.
Histoire d’histoire ou histoire d’égo ?
Des milliers de personnes ont fait le déplacement à Moengo Tapoe le samedi 8 juillet 2023 pour assister au couronnement de Ronnie Brunswijk comme roi du patrimoine afro-surinamais par une délégation de rois traditionnels de divers royaumes africains : le roi Asante II Nana Krobea du Ghana, le roi Adeldapo Aderemi Adenn, le roi Assongba Atchade Denis, Dah Tovomaddjehoungi Dako Donou du Royaume d’Abomey de la République du Bénin et Aka Bele Elizabeth du Royaume d’Amozilla Affa.
Il n’empêche que…
Voulant en avoir le cœur net sur ce que pouvait dissimuler le cerveau d’un ex-Che Guevara transmuté en prétendant à la couronne et armé de ma seule apparence d’homme de la rue, je suis donc monté dans une pirogue et j’ai traversé le fleuve, depuis Saint-Laurent et en direction d’Albina.
Me voici donc plongé au milieu d’une foule bavarde et bruyante, bruyante au niveau de son désespoir. Après quelques difficultés à engager la conversation avec les premières personnes rencontrées, l’une va quand même me tirer à l’écart et me parler.
La première chose qui transparaît dans le discours de cet homme de quarante à cinquante ans, c’est le rejet inconditionnel de l’actuel président Santokhi. Il semblerait, d’ailleurs, que ce rejet soit unanime dans la société noir-marronne surinamaise. D’après cet homme, la culture des Loweman est en train de disparaître, tout comme la liberté qui est attaquée de toute part. Le mot sravu (esclave) revient plus d’une fois dans sa bouche. Imaginons seulement la force du ressenti d'un homme qui se sent ramené à la situation d'esclave, il y a cent cinquante ans ?
Ajoutons pour faire bonne mesure qu’il faut désormais plus de 40 SRD pour obtenir un euro, ce qui correspond à dix fois le taux de change d’il y a encore quelques années. L’économie locale est à l’arrêt, seuls quelques consortiums miniers rapportent encore un peu… oui, mais à qui ? J’apprends que tous les services publics sont fermés ou tout comme, et même que dans certaines écoles, les enfants viennent avec une chaise ou un petit bureau sous les bras, car il n’y a plus de mobilier scolaire.
Bien sûr, plus que jamais, on vient se faire soigner au CHOG (Centre hospitalier de l’Ouest Guyanais), ce qui va, bien sûr, permettre à certaines personnes adeptes du « renvoi des étrangers chez eux » de dénoncer le fait qu’on vienne accoucher à Solan pour avoir des bébés français…
Les autres entretiens que je peux obtenir dans la rue sont du même acabit. L’expression « nous ne sommes pas des citoyens » émerge à diverses reprises et je perçois même quelques phrases évoquant le regret qu’il y a trente ans, Ronnie n’ait pas gagné la guerre. Alors, qu’il soit couronné, oui, trois fois oui, pourvu qu’il revienne au pouvoir avec l’auréole de celui qui va redonner sa dignité au peuple businenge.
« Oui, nous voulons un roi, et un roi qui nous réconcilie avec nos racines africaines, surtout ! Et la République ? Mais les différents pouvoirs de cette république n’ont jamais eu le moindre respect pour nous ! Nous voulons retrouver notre dignité de loweman tout comme nos racines africaines ».
On ne veut plus de Bouterse qui n’a jamais œuvré que pour lui-même et pour les Créoles de Paramaribo, on ne veut plus de Santokhi qui n’œuvre que pour lui-même et pour le pouvoir des Coolies…
Pour ce que j’ai compris, un roi, tissant des alliances avec d’autres rois, africains, ceux-là, serait la bonne personne pour rallier à sa cause et à celle de son parti (l’ABOP, pour ne pas le nommer) et pour redonner un peu de moral à un peuple entier, le peuple du fleuve. Retrouver l’âme du marronnage, en quelque sorte.
Mais les choses sont-elles aussi simples ? Au retour à Solan, j’ai eu quelques nouveaux entretiens à ma descente de pirogue à la charbonnière. Des vendeurs de bamis ou de légumes, principalement. De ce côté du fleuve, le son de cloches est radicalement différent : si Ronnie a perdu la guerre il y a trente ans, c’est parce qu’il a été rattrapé par « ses magouilles » et, de toutes les façons, pour devenir roi, il faut être ou avoir été fils de roi. De toutes les façons, ici, on ne veut pas de lui.
Et si l’on était obligé d’admettre que le RSA et les allocations ont réussi là où les luttes politiques ont échoué ?
Échoué à insérer un peuple rétif à une communauté nationale, à lui proposer un destin commun ? Peut-être eût-il fallu lui proposer la citoyenneté plutôt qu’un salariat passif ? Car si l’on part sur de telles bases calamiteuses, l’on ne peut que constater que l’euro dans tous les cas sortira gagnant d’une confrontation avec le discours déloyal des dirigeants politiques.
C’est ce que l’on voit chaque jour en Guyane française.
OKwadjani
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